2024-03-30 Il n’y a pas que la bande de Gaza qui a besoin d’être reconstruite – L’éthique israélienne aussi

Les images de la bande de Gaza en ruines sont incolores. Il n’y a que des nuances de gris, un fouillis de béton démoli, déraciné, bombardé et pulvérisé.

Les seules images de Gaza en ruines que les médias israéliens osent publier, prises par des drones ou par des équipes de photographes entrés dans la bande de Gaza embarqués dans l’armée, ne montrent aucun être vivant. Pas d’enfants orphelins qui pleurent, pas de femmes qui cherchent désespérément des herbes sauvages à manger qui ont peut-être germé là où il y avait autrefois de l’asphalte, pas de personnes âgées condamnées à passer leurs dernières années dans des souffrances inimaginables, dans une pauvreté abjecte.

Les images qui nous sont renvoyées de Gaza nous rappellent Dresde, Varsovie et le site du World Trade Center après l’attaque terroriste du 11 septembre 2001 : la même esthétique de ruine totale, de fin du monde.

Le sionisme, comme tous les mouvements nationaux, est fondé sur le mythe, le pathos et l’ethos. Le sionisme a de nombreux mythes, dont le plus significatif est le mensonge de « la terre sans peuple à un peuple sans terre ».

Le double mythe de l’exil et d’un désir continuel d’un retour juif et d’une terre vide en friche attendant ses propriétaires, informe le sioniste sur le déplacement d’un peuple réfugié qui a transformé (et continue de transformer) un autre peuple en réfugiés.

Les mythes de l’exode et des Maccabées, de Pourim et de Massada – tout cela fait partie du mythe plus vaste qui raconte aux Juifs israéliens l’histoire de leur existence sur cette terre. Il s’agit d’un tissu narratif qui assigne au monde entier des intentions génocidaires contre les Juifs, partout et en tout temps. (« À chaque génération, certains se sont levés contre nous pour nous exterminer », nous dit la Haggadah de Pessah.)

Les idées glanées dans le mythe israélien exigent la force et une force juive impitoyable.

« Si quelqu’un vient pour te tuer, lève-toi tôt et tue-le d’abord. »

Le pathos sioniste resserre le mythe, recrutant le public pour faire des sacrifices, instillant la suspicion et réduisant le spectre des possibilités à un choix binaire : les tuer ou être tués nous-mêmes.

Un exemple classique de cela est l’éloge funèbre de Moshe Dayan (lui-même un personnage mythique) pour Ro’i Rothberg, qui a été assassiné près de Nahal Oz en 1956 : « Des millions de Juifs, exterminés sans terre à eux, nous regardent depuis les cendres de l’histoire d’Israël et nous ordonnent de nous installer et de donner naissance à une terre pour notre peuple », a-t-il déclaré.

Mais au-delà du sillon frontalier, l’océan de haine et de vengeance se lève, attendant avec impatience le jour où la paix obscurcira notre préparation, jusqu’au jour où nous écouterons les émissaires de l’hypocrisie malveillante, nous appelant à déposer les armes. Le mythe et le pathos sionistes suivent les traces de la description mélancolique des Israélites du prophète biblique Balaam, « le peuple habitera seul, et ne sera pas compté parmi les nations », dictant pour nous, Juifs israéliens un programme nationaliste, militariste et ethnocratique.

À l’opposé, l’ethos sioniste – l’ensemble des valeurs et la vision du monde à laquelle la société israélienne prête allégeance – prétend englober en son sein des valeurs complexes.

Juive, mais aussi « démocratique ». La puissance militaire, mais aussi la pureté des armes.

Une souveraineté indépendante qui ne tolère aucun diktat extérieur, mais qui soit aussi « fidèle aux principes de la Charte des Nations Unies » (comme annoncé dans la Déclaration d’indépendance).

Et, bien sûr, l’éthos sioniste aspire à la paix. Il s’y efforce tellement que la lutte pour la paix est notre deuxième prénom. Je pourrais écrire 10 gros volumes décrivant les énormes écarts entre l’ethos israélien et la réalité, mais tant que l’ethos est là et que la société ne jure que par lui, son pouvoir moral est à l’œuvre, et même s’il ne l’emporte pas, il sert toujours de contrepoids au vecteur dicté par le mythe et le pathos.

L’ère Netanyahou sera jugée par l’histoire comme l’ère où chaque dernière composante de l’ethos israélien a été pulvérisée. D’abord, les valeurs administratives et politiques : l’intégrité morale, l’indépendance de la justice, la liberté de parole, le respect de l’État de droit par ceux qui sont au pouvoir – tout cela a été déchiqueté dans les bureaux du Premier ministre et du président de la Knesset. Vous n’entendrez plus Benjamin Netanyahou et ses sbires parler au nom de ces valeurs.

Deuxièmement, la pureté des armes. J’ai peut-être raté quelque chose, mais il me semble qu’il y a longtemps que je n’ai pas entendu parler de « l’armée la plus morale du monde ». Même les plus grands fans de l’armée israélienne ont du mal à répéter cette mantra avec un visage impassible ces jours-ci.

Une société qui détruit des villes et des villages, tuant 32 000 personnes (jusqu’à présent), pour la plupart des civils, est plongée jusqu’au cou dans l’incitation génocidaire. Sans réponse des autorités chargées de l’application de la loi, celles-ci transforment 1,5 million de personnes en réfugiés démunis, elles trafiquent (ouvertement !) leur faim et se contentent d’une réprimande du commandement à un officier qui, de sa propre initiative, a fait exploser une université – une telle société ne prétend plus adhérer à une notion de « pureté des armes ».

Sous le couvert d’une douleur et d’une rage justifiées face aux crimes horribles et impardonnables du Hamas, la droite a réussi à introduire une éthique alternative : « la force est le droit ». Mais l’exemple peut-être le plus flagrant de la pulvérisation des derniers vestiges de l’ethos israélien est le traitement accordé par le gouvernement israélien et ses partisans aux otages et à leurs familles.

Il est difficile de penser à un principe plus fondamental ou plus sacré pour une société que sa responsabilité envers son propre peuple en détresse. Nous avons tous grandi avec l’affirmation (tordue et exagérée, naturellement) selon laquelle « un homme tombe dans la rue à l’étranger et personne ne va vers lui, alors qu’en Israël tout le quartier viendra l’aider ».

La solidarité mutuelle est toujours importante, mais elle l’est doublement et triplement lorsque la détresse s’est abattue sur les citoyens en raison d’une terrible défaillance gouvernementale, résultat d’un abandon inconcevable de la part de ceux qui sont responsables de leur protection. Alors, quoi de plus bénéfique à la cohésion sociale que la rédemption des otages ? Le démantèlement de cette valeur est un dénouement du dernier fil qui rassemble les individus dans une société.

Il peut y avoir des situations où les otages ne peuvent pas être rachetés, et il peut y avoir des cas où le prix exigé pour leur libération crée un véritable dilemme. Mais dans notre cas, le prix n’est pas l’histoire, c’est l’alibi derrière lequel Netanyahou se cache, en abusant pour retarder un accord qui est très susceptible de briser le sien et sa coalition gouvernementale.

Et cet alibi est mis en pièces par le traitement criminel infligé aux familles des otages par le gouvernement et ses partisans, qui ont incité contre eux, les menaçant de ne pas trop critiquer le Premier ministre, les considérant comme des gêneurs, et les stigmatisant comme un groupe ayant des intérêts extérieurs au-delà de leur demande éminemment justifiable pour le retour immédiat de leurs proches.

À Bâle, en Suisse, Theodor Herzl a fondé l’État juif, et sur la place des Otages de Tel-Aviv, qui se vide lentement, il perd rapidement sa dernière valeur déclarée. Ainsi, l’aspect de Gaza en ruines n’est pas seulement une documentation de la réalité dans la bande de Gaza – c’est aussi une représentation adéquate de l’ethos de l’État d’Israël, une imagerie IRM terrifiante de notre âme idéaliste.

Il n’y a pas que Gaza qui a besoin d’être reconstruite, l’éthique israélienne aussi. Il faudra de nombreuses années pour les reconstruire tous les deux.

Michael Sfard
Haaretz, 30 mars 2024
L’auteur est avocat, expert en droit international, en guerre et en droits de l’homme.
https://www.haaretz.com/opinion/2024-03-31/ty-article-opinion/.premium/its-not-only-the-gaza-strip-that-needs-rebuilding-so-does-the-israeli-ethos/0000018e-90a4-d9a4-a7bf-dcfd7b000000
Communiqué par B. D.

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2024-03-29 – L’écocide israélien à Gaza est un véritable crime de guerre

Le fait qu’Israël soit accusé de crimes de guerre n’est pas nouveau, et le régime a eu recours à des mesures illégales et inhumaines depuis le premier jour où il a commencé à s’emparer des terres palestiniennes. Pourtant, les dévastations observées dans des pans entiers de Gaza et le mépris croissant des dirigeants israéliens pour les condamnations internationales, ont mis la planète face à ce qui est incontestable : l’état sioniste se rend responsable de génocide et d’écocide

Une analyse satellite révélée au Guardian montre des fermes dévastées et près de la moitié des arbres du territoire rasés. Outre la pollution croissante de l’air et de l’eau, les experts affirment que l’assaut israélien sur les écosystèmes de Gaza a rendu la région invivable.

Dans un entrepôt délabré de Rafah, Soha Abu Diab vit avec ses trois jeunes filles et plus de 20 autres membres de sa famille. Ils n’ont pas d’eau courante, pas de carburant et sont entourés d’égouts qui se répandent et de déchets qui s’accumulent.

Comme le reste des habitants de Gaza, ils craignent que l’air qu’ils respirent soit chargé de polluants et que l’eau soit porteuse de maladies. Au-delà des rues de la ville s’étendent des vergers et des oliveraies rasés, ainsi que des terres agricoles détruites par les bombes et les bulldozers.

« Cette vie n’est pas une vie », déclare Abu Diab, qui a été déplacé de la ville de Gaza. « Il y a de la pollution partout – dans l’air, dans l’eau dans laquelle nous nous baignons, dans l’eau que nous buvons, dans la nourriture que nous mangeons, dans la région qui nous entoure ».

Pour sa famille et des milliers d’autres, le coût humain de l’invasion israélienne de Gaza, lancée après l’attaque du Hamas le 7 octobre, est aggravé par une crise environnementale.

L’étendue des dégâts à Gaza n’a pas encore été documentée, mais l’analyse des images satellite fournies au Guardian montre la destruction d’environ 38 à 48% de la couverture arborée et des terres agricoles.

Les oliveraies et les fermes ont été réduites à de la terre tassée ; le sol et les eaux souterraines ont été contaminés par des munitions et des toxines ; la mer étouffe sous les eaux usées et les déchets ; l’air est pollué par la fumée et les particules.

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A gauche : les destructions causées aux cultures arboricoles, et à droite,
les destructions causées aux cultures sous serre – Image : The Guardian

Les chercheurs et les organisations environnementales affirment que la destruction aura des effets dévastateurs sur les écosystèmes et la biodiversité de Gaza. L’ampleur et l’impact potentiel à long terme des dégâts ont conduit à demander qu’ils soient considérés comme un « écocide » et fassent l’objet d’une enquête sur un éventuel crime de guerre.

Il ne reste que de la terre
Des images satellite, des photos et des vidéos prises sur le terrain montrent à quel point les terres agricoles, les vergers et les oliveraies de Gaza ont été détruits par la guerre.

He Yin, professeur adjoint de géographie à la Kent State University aux États-Unis, qui a étudié les dommages causés aux terres agricoles en Syrie pendant la guerre civile de 2011, a analysé des images satellite montrant que jusqu’à 48% de la couverture arborée de Gaza avait été perdue ou endommagée entre le 7 octobre et le 21 mars.

Outre les destructions directes dues à l’assaut militaire, le manque de combustible a contraint les habitants de Gaza à couper des arbres partout où ils en trouvaient pour les brûler afin de cuisiner ou de se chauffer.

« Des vergers entiers ont disparu, il ne reste plus que de la terre, on ne voit plus rien », explique M. Yin.

Une analyse satellite indépendante réalisée par Forensic Architecture (FA), un groupe de recherche basé à Londres qui enquête sur la violence d’État, a abouti à des résultats similaires.

Avant le 7 octobre, les fermes et les vergers couvraient environ 170 km², soit 47% de la superficie totale de Gaza. À la fin du mois de février, la FA estimait, à partir de données satellitaires, que l’activité militaire israélienne avait détruit plus de 65 km², soit 38% de ces terres.

Outre les terres cultivées, plus de 7 500 serres constituaient un élément essentiel de l’infrastructure agricole du territoire.

Près d’un tiers d’entre elles ont été entièrement détruites, selon l’analyse de la FA, allant de 90% dans le nord de la bande de Gaza à environ 40 % autour de Khan Younis.

« Ce qui reste, c’est la dévastation
Samaneh Moafi, directrice adjointe de la recherche à la FA, décrit la destruction comme systématique.

Les chercheurs ont utilisé l’imagerie satellite pour documenter un processus répété dans de nombreux endroits, explique-t-elle : après les dommages initiaux causés par les bombardements aériens, les troupes au sol sont arrivées et ont complètement démantelé les serres, tandis que les tracteurs, les chars et les véhicules ont déraciné les vergers et les champs de culture.

« Ce qui reste, c’est la dévastation », dit Moafi. « Une région qui n’est plus vivable. »

L’enquête de la FA a porté sur une ferme située à Rast Jabalia, près de la frontière nord-est de Gaza, cultivée par la famille Abu Suffiyeh au cours de la dernière décennie. Cette famille a depuis été déplacée vers le sud. Leur ferme a été détruite et les vergers entièrement déracinés, remplacés par des remblais militaires et une nouvelle route qui les traverse.

« Il n’y a presque plus rien de reconnaissable là-bas », dit un membre de la famille. « Il n’y a plus aucune trace de la terre que nous connaissions. Ils l’ont totalement effacée. »

« C’est maintenant la même chose qu’avant : le désert… Il n’y a plus un seul arbre. Aucune trace de vie antérieure. Si j’y allais, je ne pourrais plus rien reconnaître ».

Israël a indiqué qu’il pourrait tenter de rendre certaines de ses démolitions permanentes, certains responsables proposant la création d’une « zone tampon » le long de la clôture entre Gaza et Israël, où se trouve une grande partie des terres agricoles.

Certaines démolitions ont déjà fait place à des infrastructures militaires israéliennes. Les enquêteurs de sources ouvertes Bellingcat affirment qu’environ 1740 hectares de terres semblent avoir été déblayés dans la zone située au sud de la ville de Gaza, où une nouvelle route, appelée Route 749 par Israël, est apparue, traversant toute la largeur du territoire.

L’armée israélienne affirme que cette route est une « nécessité militaire » construite pour « établir un point d’appui opérationnel dans la région et permettre le passage de forces et d’équipements logistiques ».

Depuis le début de la guerre, Israël a largué des dizaines de milliers de bombes sur Gaza. Des analyses par satellite effectuées en janvier indiquent qu’entre 50 et 62 % de tous les bâtiments ont été endommagés ou détruits.

Serres en 2022, avant la guerre –
Image : Forensic Architecture/Planet Labs PBC

En janvier 2024, le PNUE [UN Environment Programme] estimait que les bombardements avaient laissé 22,9 millions de tonnes de débris et de matières dangereuses, la plupart des décombres contenant des restes humains.

« Il s’agit d’une quantité extrêmement importante de débris, en particulier pour une zone aussi réduite », indique le rapport. « Les composants des débris et des décombres peuvent contenir des substances nocives telles que l’amiante, des métaux lourds, des contaminants d’incendie, des munitions non explosées et des produits chimiques dangereux. »

Des piles de déchets et de l’eau empoisonnée
Les alentours de l’entrepôt qu’Abu Diab loue avec sa famille sont un véritable champ de ruines. Les eaux usées s’écoulent d’une maison bombardée située à proximité et les déchets se sont accumulés, comme partout près de la ville méridionale de Rafah, qui accueille aujourd’hui la majeure partie de la population de Gaza.

« Les eaux usées et les déchets autour de la maison sont une véritable tragédie. Les chats et les chiens sont attirés par les immondices et les répandent dans les rues », explique-t-elle.

La poursuite du conflit et du siège a entraîné l’effondrement total de l’infrastructure civile déjà fragile de Gaza, notamment en ce qui concerne le ramassage des ordures, le traitement des eaux usées, l’approvisionnement en carburant et la gestion de l’eau.

Wim Zwijnenburg, qui étudie l’impact des conflits sur l’environnement pour l’organisation pacifiste néerlandaise PAX, déclare : « En général, la guerre fait tout s’effondrer. À Gaza, la population est exposée à des risques supplémentaires liés à la pollution, à la contamination des eaux souterraines. Il s’agit de la destruction de tout ce dont la population civile dépend ».

La municipalité de Gaza a dressé la liste des dommages causés aux infrastructures, notant que 70 000 tonnes de déchets solides s’étaient accumulées depuis le 7 octobre.

L’UNRWA, l’agence des Nations unies pour les réfugiés palestiniens, qui collecte les déchets dans les camps, est dans l’incapacité de fonctionner. M. Zwijnenburg indique que la PAX a identifié au moins 60 décharges sauvages dans le centre et le sud de la bande de Gaza.

Ameer, un habitant de Rafah, explique que les gens sont dépassés par la pollution de l’air, car ils utilisent n’importe quel bois ou plastique pour faire du feu, les voitures roulent à l’huile de cuisson, sans oublier les fumées laissées par les bombardements eux-mêmes.

« L’odeur est épouvantable et la fumée qui s’échappe des voitures est insupportable – j’en ai été malade pendant des jours », déclare-t-il. « L’odeur de la poudre à canon et ces gaz horribles provenant des bombardements en cours nuisent gravement à la population et à l’environnement. »

Lorsqu’Israël a coupé l’approvisionnement en carburant de Gaza après le 7 octobre, les coupures d’électricité qui en ont résulté ont empêché le pompage des eaux usées vers les stations d’épuration, ce qui a entraîné le déversement de 100 000 mètres cubes d’eaux usées par jour dans la mer, selon le PNUE.

Un acte d’écocide
L’ampleur et l’impact à long terme des destructions ont suscité des appels en faveur d’une enquête pour possible crime de guerre et d’une qualification d’écocide, qui couvre les dommages causés à l’environnement par des actions délibérées ou par négligence.

En vertu du statut de Rome, qui régit la Cour pénale internationale, le fait de lancer intentionnellement une attaque excessive en sachant qu’elle causera des dommages étendus, durables et graves à l’environnement naturel constitue un crime de guerre.

Les conventions de Genève exigent que les parties belligérantes n’utilisent pas de méthodes de guerre qui causent « des dommages étendus, durables et graves à l’environnement naturel ».

Saeed Bagheri, maître de conférences en droit international à l’université de Reading, estime que même s’il existe des désaccords sur la manière d’appliquer ces articles, il y a suffisamment de raisons pour enquêter sur les dommages causés à l’environnement de Gaza.

Abeer al-Butmeh, coordinateur du réseau des ONG environnementales palestiniennes, déclare : « L’occupation israélienne a complètement endommagé tous les éléments de la vie et tous les éléments environnementaux à Gaza – elle a complètement détruit l’agriculture et la faune. »

« Ce qui se passe est, sans aucun doute, un écocide », déclare-t-elle. « Cela endommage complètement l’environnement de Gaza à long terme, et pas seulement à court terme. »

« Le peuple palestinien a une relation très forte avec la terre – il est très lié à sa terre et aussi à la mer », dit-elle. « Les habitants de Gaza ne peuvent pas vivre sans pêche, sans agriculture. »

« La destruction des terres agricoles et des infrastructures à Gaza est un acte délibéré d’écocide. »

« Les fermes et les serres visées sont essentielles à la production alimentaire locale d’une population déjà soumise à un siège de plusieurs décennies. Les effets de cette destruction agricole systématique sont exacerbés par d’autres actes délibérés de privation de ressources essentielles à la survie des Palestiniens à Gaza. »

Kaamil Ahmed, Damien Gayle, Aseel Mousa
29 mars 2024 – The Guardian
Traduction : Chronique de Palestine
https://www.chroniquepalestine.com/ecocide-israelien-gaza-veritable-crime-de-guerre/

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Indicateurs de l’impact mondial du mouvement BDS : fin d’année 2023 & début 2024

Depuis le début de la guerre génocidaire menée par Israël contre 2,3 millions de Palestinien-nes dans la bande de Gaza occupée et assiégée, l’impact du mouvement BDS s’est considérablement accru et a commencé à influencer certains États.

Introduction :

Au cours des 18 dernières années, le mouvement BDS a construit un vaste réseau dans le monde entier, soutenu par des syndicats, des coalitions paysannes, ainsi que des mouvements pour la justice raciale, sociale, de genre et climatique, représentant ensemble des dizaines de millions de personnes. Il a eu un impact important sur l’isolement de l’apartheid israélien, notamment en obligeant les grandes multinationales, comme G4S, Veolia, Orange, HPPUMA et d’autres, à mettre fin totalement ou partiellement à leur complicité dans ses crimes contre les Palestinien-nes autochtones.

Depuis le début de la guerre génocidaire d’Israël contre 2,3 millions de Palestinien-nes dans la bande de Gaza occupée et assiégée, l’impact du mouvement BDS s’est considérablement accru et a commencé à influencer certains États. Le mouvement, avec ses nombreux partenaires, a intensifié la pression sur les décideurs politiques pour qu’ils mettent fin à la complicité des États et des entreprises dans les crimes de guerre, les crimes contre l’humanité et le génocide commis par Israël, en rendant mainstream l’analyse désormais largement acceptée d’Israël en tant qu’Etat d’apartheid et en préconisant des sanctions ciblées et légales, en particulier un embargo complet et bilatéral sur les armes, comme une action de respect des obligations légales en vertu du droit international.

Cet impact a été accentué par l’affaire sud-africaine devant la Cour internationale de justice (CIJ) accusant Israël de génocide et par la décision ultérieure de la CIJ du 26 janvier 2024 selon laquelle Israël commet de manière plausible un génocide à Gaza.

Le 23 février, des expert-es des droits de l’homme de l’ONU ont publié une déclaration révolutionnaire qui fait référence au risque de génocide pour appeler tous les États à remplir leurs obligations légales en arrêtant « immédiatement » toutes les « exportations d’armes vers Israël » et en imposant « des sanctions sur le commerce, la finance, les voyages, la technologie ou la coopération ». Cela fait écho aux revendications que le mouvement BDS a généralisées et pour lesquelles il a construit un soutien de masse pendant de nombreuses années.

Bien que dans la plupart des développements ci-dessous, bien sûr, il y ait eu d’autres facteurs d’influence, le mouvement BDS a joué un rôle indubitable, bien que parfois indirect, dans leur réalisation.

INDICATEURS D’IMPACT (un échantillon représentatif de nombreux développements similaires) :

– Etats et Gouvernements locaux

  • La Bolivie a suspendu ses relations diplomatiques avec Israël, tandis que le Chili, la Colombie, le Tchad, le Honduras, la Turquie et la Jordanie, entre autres, ont revu à la baisse leurs relations avec Israël.
  • L’Union africaine a effectivement suspendu le statut d’observateur[1] d’Israël.
  • Le 29 février, le président colombien Gustavo Petro a annoncé la suspension totale des achats d’armes à Israël.
  • Le gouvernement régional belge de Wallonie a suspendu deux licences d’exportation d’armes vers Israël. Les vice-premiers ministres de la Belgique et de l’Espagne ont appelé à « suspendre le traité d’association de l’UE avec Israël, à imposer un embargo général sur les armes, ou même à imposer des sanctions dans le cadre du régime mondial de sanctions de l’UE en matière de droits de l’homme ».
  • Le Chili a interdit aux entreprises israéliennes d’accéder à son salon de l’armement, et les entreprises israéliennes étaient également absentes du salon de l’armement en Colombie.
  • Le 29 février, le Parti socialiste ouvrier espagnol, le principal parti au pouvoir en Espagne, a voté au Parlement, avec d’autres partis, en faveur d’une suspension immédiate du commerce d’armes de l’Espagne avec Israël. Le 13 mars, la commission des Affaires étrangères du parlement espagnol a voté en faveur de l’arrêt du commerce des armes avec Israël.
  • Le fonds souverain norvégien, le plus grand au monde, a récemment annoncé qu’en novembre 2023, il avait entièrement cédé ses obligations israéliennes d’une valeur de près d’un demi-milliard de dollars. Les obligations d’Israël sont une cible majeure du mouvement BDS depuis octobre 2023. La plus grande fédération syndicale, LO, avec un million de membres, a joué un rôle important à cet égard.
  • Plusieurs fonds de pension danois ont exclu et ont retiré leurs investissements des entreprises israéliennes, y compris des banques, impliquées dans les colonies illégales d’Israël.
  • Le gouvernement norvégien a conseillé aux entreprises norvégiennes « de ne pas s’engager dans des coopérations commerciales ou des échanges qui servent à perpétuer les colonies israéliennes illégales ».
  • Le 3 janvier 2024, la Commission des droits de l’homme du Sénat chilien a approuvé un projet de loi visant à interdire le commerce avec les colonies israéliennes.
  • Le gouvernement malaisien a interdit tous les navires appartenant à Israël, en particulier ceux de la compagnie maritime israélienne Zim, en réponse aux violations du droit international par Israël, une décision renforcée par les efforts persistants de BDS Malaysia.
  • Le Parlement canadien a voté pour mettre fin aux exportations d’armes vers Israël le 18 mars 2024, tandis que plus de 130 député-es britanniques ont appelé à interdire toutes les ventes d’armes à Israël.
  • La ville de Barcelone (Catalogne) a franchi une étape historique en rompant tous les liens avec Israël en raison de son système d’apartheid et des crimes de guerre commis contre les Palestinien-nes à Gaza, créant ainsi un précédent en Europe. Cela fait suite à une campagne menée par des partenaires BDS en Catalogne.
  • Le gouvernement jordanien a annoncé le rejet d’un accord « électricité contre eau » avec Israël, à la suite d’une importante pression publique menée par BDS Jordanie.
  • Le Conseil régional néo-zélandais de l’environnement de Canterbury (ECan) a voté pour ne pas travailler avec des entreprises qui font des affaires avec des colonies israéliennes illégales dans les territoires palestiniens occupés.
  • Malgré la domination de la propagande israélienne justifiant le génocide dans les grands médias américains, la majorité des électeur-ices américain-es soutiennent maintenant l’arrêt ou le conditionnement du financement militaire et des livraisons d’armes à Israël.
  • En Turquie, les villes d’Adana et d’Antalya ont annulé leurs protocoles de jumelage avec leurs homologues israéliennes, Beersheba et Bat-Yam, respectivement. Cela faisait suite à une campagne intense de BDS Turquie.
  • Le 29 novembre 2023, le conseil municipal de la ville de Gand (Belgique) a annoncé qu’il n’achètera plus auprès des entreprises profitant du système d’occupation et d’oppression des Palestinien-nes dans les TPO (territoires palestiniens occupés).
  • Le 10 janvier 2024, la ville de Derry et le conseil du district de Strabane (Irlande du Nord) ont annoncé leur intention d’adopter une politique d’approvisionnement éthique.
  • Le 25 janvier 2024, le Sinn Fein, le plus grand parti politique d’Irlande, a annoncé qu’il travaillait dans les conseils municipaux de toute l’Irlande pour mettre en œuvre des politiques d’approvisionnement éthiques.
  • Le 25 janvier 2024, la ville de Hayward, en Californie (États-Unis), a voté en faveur du désinvestissement de quatre entreprises complices de violations israéliennes des droits de l’homme et du droit international.
  • Plus de 120 conseils municipaux aux États-Unis ont adopté des résolutions exigeant un cessez-le-feu.

 

– Entreprises et organisations

  • En mars 2024, à la suite de pressions exercées par BDS Japon et ses alliés, qui ont évoqué la décision de la CIJ selon laquelle Israël commet un génocide de manière plausible, deux grandes entreprises japonaises,Nippon Aircraft Supply et Itochu Corporation, ont mis fin à leurs relations avec le plus grand fabricant d’armes privé d’Israël, Elbit Systems.
  • Elbit Systems, le plus grand fabricant d’armes privé d’Israël et le principal facilitateur du génocide, a exprimé ses inquiétudes quant à l’impact des campagnes BDS contre lui, malgré l’augmentation de ses ventes d’armes « testées sur le terrain ». La peur d’Elbit à l’égard du BDS peut s’expliquer par la tendance émergente des désinvestissements des grandes banques et des fonds d’investissement. Le 12 février 2024, par exemple, l’Office d’investissement de l’État du Wisconsin a révélé qu’il avait vendu les 8 083 actions d’Elbitqu’il possédait en novembre 2023. Deux jours plus tard, Bank of America Corp a révélé qu’elle avait perdu plus de 50 % de ses actions Elbit depuis novembre 2023. Même la Banque Scotia, le plus grand investisseur étranger dans Elbit, a réduit ses avoirs en actions Elbit d’environ 16 % entre le T3 et le T4 2023. Les campagnes en faveur d’un désinvestissement total se poursuivent.
  • En mars 2024, le géant américain de la restauration rapide McDonald’s a été contraintd’abandonner son procès en diffamation contre BDS Malaysia. La société a subi une perte importante de revenus et de valeur de ses actions en raison d’une campagne BDS mondiale croissante, comme l’a admis sa direction. Le boycott dans le monde arabe a joué un grand rôle dans cette pression.
  • L’entreprise allemande de vêtements de sport Pumaa annoncé en décembre 2023 qu’elle ne renouvellerait pas son contrat avec la Fédération israélienne de football qui expire fin 2024, cédant à la pression BDS qui a coûté cher à l’entreprise en termes d’atteinte à sa réputation.
  • Carrefour, la chaîne de supermarchés française ciblée par BDS pour sa complicité dans les crimes israéliens, a fermé quatre succursales en Jordanie, à la suite d’une intense campagne menée par BDS Jordanie. La société jordanienne Al-Ameed Coffee Companyavait précédemment décidé de fermer toutes ses succursales dans les supermarchés Carrefour en Jordanie en raison de la complicité de Carrefour dans les crimes d’Israël.

 

– Institutions (syndicales, confessionnelles, universitaires, culturelles, sportives) :

  • Les principaux syndicats indiens représentant des dizaines de millions de travailleurs ont exigédu gouvernement indien qu’il annule un accord visant à « exporter » des travailleurs indiens vers Israël pour remplacer les travailleurs palestiniens, exhortant les travailleurs à boycotter les produits israéliens et à ne pas manipuler de marchandises israéliennes.
  • Les syndicats de dockers en Belgiqueen Inde, en Catalogne, en Italie, en Grèce, en Turquie,en Californie et en Afrique du Sud ont mené des actions contre les navires israéliens et/ou les livraisons d’armes à Israël.
  • L’IAATW, une alliance internationale de syndicats de travailleurs dans les applications de transports et comptant 100 000 membres dans plus de 27 pays et 6 continents, a décidé de boycotter les stations-service de la marque Chevron.
  • La plus grande et la plus ancienne église afro-américaine,l’Église épiscopale méthodiste africaine, qui compte quelque 3 millions de membres, a accusé Israël de génocide, appelant les États-Unis à « retirer immédiatement tout financement et tout autre soutien d’Israël », afin de mettre fin à sa complicité.Haut du formulaire
  • Les directeurs de toutes les universités palestiniennes ont appelé à isoler les universités israéliennes dans le monde entier.
  • Cinq universités norvégiennes ont suspendu des accords de collaboration avec des universités israéliennes complices du génocide israélien à Gaza.
  • Le Conseil de la Faculté de droit de l’Université d’Anvers (Belgique) a décidé par consensus de mettre fin à un accord de coopération avec l’Université Bar-Ilan en raison de son soutien indéfectible à l’agression militaire israélienne contre Gaza.
  • Le gouvernement étudiant de la faculté de droit de Harvard a adopté une résolution appelant la Harvard Management Corporation et toutes les institutions et organisations de la communauté de Harvard à cesser ses investissements en direction du régime israélien, de son occupation militaire et de son génocide à Gaza.
  • Le Sénat académique de l’Université de Turin (Italie) a décidé de ne pas participer aux appels de recherche scientifique avec des institutions israéliennes complices au sujet du #GazaGenocide.
  • L’Université de Gérone (Catalogne) s’est engagée à revoir tous les accords avec les universités israéliennes ; l’Université Fédérale du Ceará (Brésil) a annulé le « Défi Innovation Brésil – Israël » et la Faculté des Sciences Humaines et Sociales de l’Universidad Nacional de la Patagonia San Juan Bosco (Argentine) a voté en faveur de l’appel de l’Université de Birzeit à éviter les institutions académiques israéliennes complices.
  • L’Association des professeur-es de l’Université de Montréal, qui représente près de 1400 professeur-es, a voté à l’unanimité en faveur d’un boycott des universités israéliennes, ce qui en fait la PREMIÈRE au Canada à le faire.
  • Des étudiant-es de l’Université de Californie à Davis (États-Unis) ont voté en faveur du désinvestissement de leur budget de 20 millions de dollars en direction des entreprises complices du génocide et de l’occupation.
  • L’assemblée du Sénat de la faculté de l’Université du Michigan (États-Unis) a voté en faveur du désinvestissement le 30 janvier 2024.
  • Une centaine d’organisations artistiques américaines, y compris des éditeur-trices, des galeries, des salles de spectacle, des magazines, des librairies, des collectifs, des festivals et des agences, ont approuvé le boycott culturel d’Israël.
  • Le cinéma de Gérone a annulé le festival du film et de la télévision israéliens Seret, parrainé par l’ambassade d’Israël et le ministère de la Culture, après un engagement privé de groupes catalans.
  • Eurovision : Les ministres belges de la Culture ont appelé à bannir Israël de l’Eurovision, tout comme plus de 4 000 artistes, dont plus de 1 000 artistes dans le pays hôte, la Suède. La plus grande soirée de projection de l’Eurovision à Londres fait partie des événements annulés en raison de la participation d’Israël.
  • Plus de 100 artistes ont boycotté South by Southwest (SXSW) au Texas (États-Unis) pour son partenariat avec l’armée américaine et les fabricants d’armes qui arment le génocide mené par Israël.
  • Des dizaines de milliers d’artistes ont appelé au cessez-le-feu, à la justice et à l’obligation de rendre des comptes à travers des dizaines de lettres et d’initiatives, notamment dans les domaines de la musique, des arts visuels, du cinéma, de la littérature et bien plus encore.
  • Jeux olympiques : des pétitions appelant à bannir Israël des sports internationaux ont recueilli plus de 280 000 signatures. Vingt-six députés français ont appelé le Conseil International Olympique à sanctionner Israël.
  • FIFA : La Fédération de football d’Asie de l’Ouest a appelé à suspendre l’adhésion d’Israël à la FIFA, et les appels à exclure Israël des Jeux Olympiques prennent de l’ampleur dans le monde entier.
  • Le comité exécutif de la Fédération européenne de gymnastique a décidé que Tel Aviv n’accueillera plus les Championnats d’Europe de gymnastique artistique 2025.
  • Les Championnats d’Europe de water-polo de 2024 ont été déplacés hors d’Israël.
  • 4 000 artistes queer se sont engagés à ne pas se produire ou exposer leurs œuvres en Israël. La plus ancienne organisation LGBTQ+ des États-Unis a appelé à la fin du #GazaGenocide. Dix cinéastes queer se sont retiré-es du festival du film LGBTQ+ parrainé par le gouvernement israélien. La National Student Pride au Royaume-Uni a abandonné ses sponsors israéliens complices de l’apartheid et du génocide.

[1] Le statut d’observateur (ou observer status en anglais) est un statut accordé à une entité, telle qu’un pays, une organisation internationale ou une entité non étatique, qui lui permet de participer à certaines réunions, discussions ou activités d’une organisation internationale sans avoir le plein statut de membre. Les observateurs peuvent généralement assister à des réunions, soumettre des déclarations et des propositions, mais n’ont souvent pas le droit de voter ou de participer activement à la prise de décision de l’organisation. Ce statut est souvent accordé à des entités qui ont un intérêt particulier dans les travaux de l’organisation mais qui ne remplissent pas toutes les conditions nécessaires pour devenir membres à part entière.

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2024-03-24 La FIDH rejoint le mouvement global pour la reconnaissance de l’apartheid de genre comme crime de droit international

Le 23 mars 2024, le Bureau international de la Fédération internationale pour les droits humains (FIDH) – son corps élu composé de défenseur·es des droits humains originaires de tous les continents   a adopté à la majorité une résolution alignant l’organisation au mouvement global appelant à la reconnaissance du crime d’apartheid de genre en droit international.

Paris, 28 mars 2024. Reconnaissant le travail considérable initié et réalisé ces dernières années par des féministes, des universitaires et des expert⋅es du monde entier, la FIDH est convaincue qu’il est temps d’élargir la définition du crime d’« apartheid » pour y inclure des situations dans lesquelles l’oppression est dirigée contre un ou plusieurs groupes de genre spécifiques, comme c’est le cas en Afghanistan pour les femmes et les jeunes filles. La FIDH estime de façon plus générale que l’apartheid de genre est le crime le plus approprié pour caractériser les situations où il existe une discrimination institutionnalisée et systématisée sévère.

Avec ses organisations membres, la FIDH est depuis longtemps engagée dans la lutte contre l’impunité et l’accès à la justice pour les victimes de crimes internationaux devant les juridictions nationales, régionales et internationales. Malgré de nombreux obstacles, des progrès notables ont été réalisés grâce à l’évolution des lois et des pratiques et à l’interprétation progressive d’un corpus juridique international vieillissant, y compris en ce qui concerne les violences sexuelles et basées sur le genre. En adoptant cette résolution, la FIDH souligne la nécessité de veiller à ce que le droit international continue d’évoluer et de refléter de nouvelles réalités.

« L’oppression, la ségrégation et la discrimination généralisées auxquelles sont confrontées les femmes et les filles en Afghanistan depuis le retour illégal des Talibans au pouvoir en 2021 nous ont fait prendre conscience du fait que les lois internationales actuelles ne suffisent pas à décrire de manière adéquate des situations d’une telle gravité. La reconnaissance du crime d’apartheid de genre comblerait une lacune dans le droit international et contribuerait à une plus grande redevabilité des responsables », déclare la vice-présidente de la FIDH et directrice exécutive d’Open Asia – Armanshahr Guissou Jahangiri.

La FIDH soutient le fait que les situations de discrimination à l’encontre des membres d’un certain genre, en particulier les femmes, les filles et les personnes LGBTQI+, puissent faire l’objet de poursuites en vertu du droit international, notamment au titre du crime contre l’humanité de persécution basée sur le genre. Cependant, le crime de persécution basée sur le genre, ainsi que les autres crimes existants, ne sont pas suffisamment en adéquation avec les situations où un régime généralisé et institutionnalisé d’oppression et de discrimination est établi, avec l’intention de le maintenir.

« Pour que les victimes aient une chance d’obtenir justice, pour que les auteures soient tenues responsables, il est nécessaire de disposer d’un crime qui reflète véritablement la gravité et la singularité des situations qui présentent les caractéristiques de l’apartheid de genre. Notre décision, celle de nous aligner sur le mouvement visant à codifier l’apartheid de genre comme un nouveau crime en vertu du droit international, reconnaît les expériences vécues par les victimes et les survivant·es et la nécessité d’adapter le droit international », déclare Alice Mogwe, présidente de la FIDH.

Cette résolution de la FIDH arrive à un moment critique, alors que d’importantes discussions se tiennent actuellement sur le projet de Convention sur les crimes contre l’humanité, qui représente une opportunité clé et propice de codifier le crime d’apartheid de genre. La FIDH espère que davantage de parties prenantes soutiendront l’important mouvement en faveur de la reconnaissance de ce crime.

En attendant que le crime d’apartheid de genre soit inclus et défini dans le droit international, la FIDH reste déterminée à utiliser tous les outils juridiques actuellement disponibles pour rendre justice aux victimes du monde entier et soutient la proposition de définition suivante de l’apartheid de genre : « par crime d’apartheid on entend des actes inhumains analogues à ceux que vise le paragraphe 1 [de l’article 2 du projet de Convention sur les crimes contre l’humanité], commis dans le cadre d’un régime institutionnalisé d’oppression systématique et de domination d’un groupe racial sur tout autre groupe racial ou tous autres groupes raciaux, ou d’un groupe de genre sur tout autre groupe de genre ou tous autres groupes de genre, sur la base du genre, et dans l’intention de maintenir ce régime. »

 

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2024-03-26 Une experte de l’ONU accuse Israël d’« actes de génocide » à Gaza

Rapporteure spéciale des Nations unies pour les territoires palestiniens occupés, Francesca Albanese affirme dans un rapport qu’« il existe des motifs raisonnables de croire que le seuil indiquant qu’Israël a commis un génocide est atteint » à Gaza.

 « Si« Si le terme de génocide est chargé politiquement, sa définition légale n’appartient pas seulement au peuple juif. Avant eux, les Allemands avaient déjà commis un génocide contre le peuple des Héréros en Namibie [entre 1904 et 1908 – ndlr]. Je comprends combien le débat est délicat. Mais c’est justement parce que la leçon du génocide contre les juifs a été forte que nous avons une responsabilité collective à reconnaître quand ce crime peut se dérouler ailleurs. »

C’était le 28 décembre dernier. Dans Mediapart, l’avocate italienne Francesca Albanese, depuis 2022 rapporteure spéciale des Nations unies pour les territoires palestiniens occupés, estimait que la définition du génocide inscrite à l’article 2 de la convention de 1948 pour la prévention et la répression du crime de génocide s’appliquait au cas de Gaza.

Consciente de la charge de ce terme juridique, qui est aussi une arme politique au cœur de vives polémiques, la juriste défendait son usage ainsi que celui d’une autre formule : « nettoyage ethnique ». Elle réaffirme, trois mois plus tard, l’emploi de ces deux termes dans un rapport qu’elle a présenté mardi 26 mars à Genève (Suisse), devant le Conseil des droits de l’homme, l’organe des Nations unies qui la mandate mais au nom duquel elle ne s’exprime pas.

Publié la veille de sa présentation, le jour où pour la première fois depuis bientôt six mois de guerre, le Conseil de sécurité de l’ONU est parvenu à adopter une résolution appelant à un cessez-le-feu immédiat, le document de 25 pages conclut qu’« il existe des motifs raisonnables de croire que le seuil indiquant qu’Israël a commis un génocide est atteint » à Gaza contre le peuple palestinien.

La chercheuse italienne, qui évoque « un traumatisme collectif incalculable qui sera vécu pendant des générations », liste et développe trois actes de génocide envers le « groupe » que forment les Palestinien·nes : « meurtre de membres du groupe », « atteintes graves à l’intégrité physique et mentale de membres du groupe », « soumission intentionnelle du groupe à des conditions d’existence devant entraîner sa destruction physique totale ou partielle ».

« Logique génocidaire »

Selon elle, « la nature et l’ampleur écrasante de l’assaut israélien sur Gaza et les conditions de vie destructrices qu’il a causées révèlent une intention de détruire physiquement les Palestiniens en tant que groupe ». Plus largement, poursuit la juriste, « ils indiquent également que les actions d’Israël ont été motivées par une logique génocidaire inhérente à son projet colonial en Palestine, signalant une tragédie annoncée ».

L’experte indépendante de l’ONU affirme que « les actes génocidaires ont été approuvés et mis en œuvre à la suite de déclarations d’intention génocidaire émises par de hauts responsables militaires et gouvernementaux ». Elle cite notamment « la rhétorique génocidaire au vitriol » de plusieurs hauts responsables israéliens dotés d’une autorité de commandement, parmi lesquels le président Isaac Herzog, le premier ministre Benyamin Nétanyahou, le ministre de la défense Yoav Gallant (qui a qualifié les Palestiniens d’« animaux humains »), et « des décennies de discours déshumanisant les Palestiniens ».

« Déformant les règles coutumières du DIH [droit humanitaire international – ndlr], y compris la distinction, la proportionnalité et les précautions, Israël a de facto traité l’ensemble d’un groupe protégé et ses infrastructures vitales comme des “terroristes” ou des “soutiens au terrorisme”, transformant ainsi tout et chacun en cible ou en dommage collatéral, donc tuable ou destructible, écrit Francesca Albanese. De cette manière, aucun Palestinien à Gaza n’est par définition en sécurité. Cela a eu des effets dévastateurs et intentionnels, coûtant la vie à des dizaines de milliers de Palestiniens, détruisant le tissu social à Gaza et causant un préjudice irréparable à l’ensemble de sa population. »

Pour un embargo sur les armes

Pour l’avocate, qui ajoute un rappel historique, « le génocide israélien contre les Palestiniens à Gaza est une étape d’escalade d’un processus d’effacement colonial de longue date » dans ce territoire occupé depuis 1967. « Pendant plus de sept décennies, dénonce-t-elle, ce processus a étouffé le peuple palestinien en tant que groupe – démographiquement, culturellement, économiquement et politiquement –, cherchant à le déplacer, à exproprier et à contrôler ses terres et ses ressources. »

Francesca Albanese demande aux États membres de mettre « immédiatement » en œuvre un embargo sur les armes contre Israël, pays qui ne respecte pas les mesures contraignantes ordonnées par la Cour internationale de justice (CIJ) il y a deux mois, le 26 janvier 2024. Les juges, sollicités par l’Afrique du Sud (qui a de nouveau saisi le 6 mars la CIJ devant les risques de famine à Gaza), avaient alors évoqué un risque « plausible » de génocide des Palestinien·nes à Gaza et exhorté Israël à ne pas commettre d’actes génocidaires et à punir toute incitation au génocide.

Pour réaliser cette enquête, Francesca Albanese, qui rappelle condamner « fermement » les atrocités commises par le Hamas et d’autres groupes armés palestiniens le 7 octobre 2023, explique s’être appuyée « sur des données et des analyses d’organisations sur le terrain, sur la jurisprudence internationale, des rapports d’enquête et des consultations avec les personnes concernées, les autorités, la société civile et les experts ».

Un rapport critiqué

La rapporteure de l’ONU n’a pu accéder au terrain, Israël lui en interdisant l’accès, « comme à tous les rapporteurs spéciaux pour les territoires palestiniens depuis 2008 ! », dénonce-t-elle. L’Etat hébreu avait annoncé en février lui avoir interdit l’entrée sur son territoire après qu’elle ait critiqué sur le réseau social X, les propos du président français Emmanuel Macron décrivant l’assaut du Hamas sur le sol israélien comme « le plus grand massacre antisémite de notre siècle ».

Francesca Albanese avait affirmé sur X que « les victimes du 7/10 n’ont pas été tuées à cause de leur judaïsme, mais en réaction de l’oppression d’Israël ». Ses propos avaient suscité une controverse. Michèle Taylor, ambassadrice des États-Unis auprès du Conseil des droits de l’homme de l’ONU, avait dénoncé des déclarations « inacceptables et antisémites ».

Francesca Albanese s’était défendue de tout antisémitisme : « Je rejette tout racisme, incluant l’antisémitisme, une menace globale. Mais expliquer ces crimes comme de l’antisémitisme obscurcit leur vraie cause », avait-elle plaidé.

Salué par les uns, notamment par plusieurs ONG qui appellent les États membres à faire respecter le cessez-le-feu adopté lundi 25 mars, à l’image d’Amnesty International qui loue « un travail crucial qui doit servir d’appel vital à l’action auprès des États », le rapport de Francesca Albanese est aussi vilipendé. La représentation israélienne auprès des Nations unies à Genève a « totalement rejeté le rapport » et affirmé dans un communiqué qu’il fait partie « d’une campagne visant à saper l’établissement même de l’État juif ». 

Invité à réagir, le ministère des affaires étrangères français a, pour sa part, rappelé que « Mme Albanese n’engage pas le système des Nations unies ». « Nous avons eu l’occasion par le passé de nous inquiéter de certaines de ses prises de position publiques problématiques et de sa contestation du caractère antisémite des attaques terroristes du 7 octobre dernier », a déclaré le porte-parole adjoint Christophe Lemoine. Concernant la qualification de génocide, il a renvoyé aux déclarations passées du Quai d’Orsay. « Accuser l’État juif de génocide, c’est franchir un seuil moral », avait répondu en janvier le ministre français des affaires étrangères Stéphane Séjourné.

Rachida El Azzouzi

 

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2024-03-26 Cessez-le feu immédiat !

Le Conseil de sécurité de l’ONU a enfin adopté une résolution exigeant un cessez-le-feu immédiat à Gaza.

Il aura fallu plus de 32 000 morts et plus de 10 000 disparus sous les décombres, dont 70% de femmes et d’enfants, deux millions de personnes déplacées de force, la bande de Gaza en ruine, la population soumise à la famine et privée de soins, il aura fallu presque 6 mois d’horreur absolue pour qu’enfin les États-Unis ne mettent plus leur veto à ce cessez-le-feu attendu avec tant d’espoir par une population qui n’en peut plus. Il faut que cesse « ce cauchemar sans fin » déclarait il y a deux jours Antonio Guterres, à la porte de Rafah.

À noter que les États-Unis n’en ont pas pour autant décidé de cesser d’armer Israël, ce qui relève d’une belle hypocrisie.

La résolution exige un cessez-le-feu immédiat pour le mois de ramadan, respecté par toutes les parties, conduisant à un cessez-le-feu durable : l’exigence est bien celle d’un cessez-le-feu durable.

La résolution exige également la libération immédiate et inconditionnelle des otages et demande aux deux parties de respecter leurs obligations envers les personnes qu’elles détiennent. Cela concerne les otages mais bien évidement les milliers de prisonniers politiques palestiniens détenus en violation de toutes les règles du droit international et victimes d’exactions d’une extrême gravité dont Israël devra rendre compte.

La réponse d’Israël ne s’est pas fait attendre : « Nous ne cesserons pas le feu ! » a déclaré immédiatement le ministre des Affaires étrangères israélien. Ne cachant pas sa colère, Netanyahou a annulé une délégation qui devait se rendre aux États-Unis pour discuter de l’opération terrestre à Rafah. Opération terrestre toujours à l’ordre du jour à l’évidence : Israël s’enkyste dans sa logique de génocide et de nettoyage ethnique et n’entend toujours pas respecter ses obligations. Israël continue de bombarder la population civile dans toute la bande de Gaza avec les dizaines de morts heures après heures.

Le Hamas de son côté, a publié une déclaration saluant l’adoption de la résolution du Conseil de sécurité des Nations unies, affirmant qu’il « est prêt à procéder à des échanges immédiats de prisonniers des deux côtés ».

Cette résolution doit maintenant se traduire dans les actes. Les résolutions du Conseil de sécurité de l’ONU sont contraignantes, les États se doivent de les appliquer, Israël n’en n’est pas exonéré. Pourtant il continue de provoquer ses « amis » et à violer le droit comme on a pu le voir ce 22 mars avec la confiscation de 800 hectares de terres palestiniennes dans la vallée du Jourdain.

Chacun le sait, sans contrainte, Israël ne respectera pas cette résolution, pas plus que les précédentes. Les États doivent passer aux actes ! Embargo diplomatique, militaire et économique, suspension de l’accord d’association entre l’Union européenne et Israël. Les sanctions, c’est maintenant ! Il est plus que temps également d’appliquer le droit en interdisant les produits des colonies dans nos magasins !

Nous invitons la France et les pays de l’Union européenne à répondre à l’appel du président colombien qui invite les nations du monde à rompre les relations diplomatiques avec Israël s’il ne respecte pas le cessez-le-feu exigé par le Conseil de sécurité des Nations unies. Israël ayant annoncé que non seulement il n’appliquerait pas la résolution mais qu’il continuerait le génocide à Gaza, la France doit convoquer l’ambassadeur d’Israël et rappeler son ambassadeur actuellement en poste en Israël.

Le Bureau National de l’AFPS, le 26 mars 2024

Photo : Riyad Mansour, observateur permanent de l’Etat de Palestine aux Nations unies, et délégués, après l’adoption de la résolution 2728, le 25 mars 2024 © UN Photo/Loey Felipe/UN71031378

 

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2024-03-21 Journée internationale pour l’élimination de la discrimination raciale : mettre fin au génocide et à l’apartheid israélien

Un génocide est en cours à Gaza, Israël a entrepris d’effacer un peuple, le peuple palestinien contre lequel il a mis en place, et maintenu, au fil des décennies un régime institutionnalisé d’oppression et de domination raciale constituant – selon l’article 7 du Statut de Rome de la Cour pénale internationale – un crime d’apartheid.

Les crimes d’apartheid et de génocide sont les formes les plus violentes de discriminations raciales.
Le génocide s’inscrit dans la continuité du régime d’apartheid, qui a fait des Palestiniens des sous ou des non-citoyens et les a déshumanisés pour mieux les opprimer et les déposséder.

Pour instaurer et maintenir ce régime de domination sur le peuple palestinien, Israël a promulgué depuis 1948 toute une série de lois : lois sur la citoyenneté et l’entrée sur le territoire, lois sur le droit à la terre, à la propriété et à l’autodétermination, et en juillet 2018 la loi sur l’État nation du peuple juif.

Toutes ces lois instituent des discriminations raciales entre Palestiniens et Israéliens de « nationalité juive » : sur l’ensemble du territoire contrôlé par Israël, de la Méditerranée au Jourdain, ils n’ont pas les mêmes droits.

Ce régime d’apartheid fonctionne par la division géographique et politique du peuple palestinien en catégories juridiques distinctes créées par Israël : les Palestiniens citoyens d’Israël, ceux de Jérusalem, les Palestiniens vivant dans le territoire occupé, les réfugiés et les exilés.

Israël a consolidé et maintenu ce régime d’apartheid avec des restrictions imposées à la liberté de mouvement, de résidence et d’accès à certaines zones du territoire palestinien, avec le refus du regroupement familial pour les Palestiniens, avec la création d’un environnement coercitif pour les contrôler et les réprimer. Démolitions illégales de maisons, expulsions et déplacements forcés de populations ont complété les pratiques destinées à s’emparer des terres et des biens des Palestiniens.

Les discours de haine et d’incitation à la haine raciale ont créé un environnement qui a ouvert la voie au génocide. Aujourd’hui le génocide en cours ajoute une page d’une barbarie sans nom à l’oppression des Palestiniens et la dépossession de leur terre et de leurs biens.

Les Palestiniens de Gaza ont vécu pendant plus de 16 ans sous un blocus inhumain. Enfermés, invisibilisés et déshumanisés, privés des droits élémentaires par le régime d’apartheid israélien, ils sont maintenant victimes d’un génocide en cours. Mourir sous les bombes ou de famine et de défaut de soins, voilà la seule incertitude qui leur est laissée. Et c’est à la fois par la volonté génocidaire d’Israël et par la complicité active ou passive de la communauté internationale que cette atrocité est possible !

Le crime de génocide, tout comme celui d’apartheid n’a été rendu possible en effet que par l’impunité dont jouit Israël. En cette Journée internationale pour l’élimination des discriminations raciales, l’AFPS tient à rappeler que la communauté internationale a pour obligation de tout faire pour empêcher les crimes d’apartheid et de génocide. Faute de quoi les États et leurs dirigeants pourront être tenus pour complices de ces crimes.

Cela doit se traduire par des actes immédiats : les mots doivent se traduire en actes, MAINTENANT. Des sanctions contre Israël doivent être prises MAINTENANT à commencer par un embargo militaire mais aussi des sanctions économiques et diplomatiques et la suspension de l’accord d’association entre Israël et l’Union européenne.

Les citoyens eux, ont pris leurs responsabilités depuis longtemps en participant à la campagne Boycott Désinvestissement Sanctions. C’est notre réponse à l’apartheid et au génocide.

Au génocide et à l’apartheid, nous opposons l’égalité des droits afin que le peuple palestinien puisse faire valoir enfin son droit à l’autodétermination.

Le Bureau National de l’AFPS, le 21 mars 2024

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2023-12-27 – Gilbert Achcar, Le blanchiment des Juifs européens et l’utilisation abusive de la mémoire de la Shoah

Bienvenue sur mon nouveau blog (en langue française). Ce texte a pour origine ma contribution le 11 juin 2022 à la conférence « Hijacking Memory: The Holocaust and the New Right » organisée à Berlin par le Einstein Forum et le Centre de recherche sur l’antisémitisme de la Technische Universität Berlin. Il doit paraître dans un ouvrage en allemand issu de la conférence. Gilbert Achcar

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Il est aujourd’hui difficile de considérer les Juifs européens comme non blancs. Le mantra selon lequel la très blanche « civilisation occidentale » serait « judéo-chrétienne » est devenu si omniprésent qu’il a acquis le statut d’un préjugé commun, digne du Dictionnaire des idées reçues de Gustave Flaubert. Ce même mantra a été fortement renforcé ces derniers temps par la façon dont les gouvernements occidentaux, à commencer par l’administration américaine de Joe Biden, ont soutenu inconditionnellement le gouvernement israélien d’extrême droite de Benyamin Netanyahou dans les représailles au centuple qu’il a lancées contre la bande de Gaza, causant la mort d’un très grand nombre d’habitants, dont une proportion terrifiante d’enfants, ainsi que la dévastation de la majeure partie du territoire de l’enclave et le déplacement de la grande majorité des survivants – tout cela en prétendant hypocritement se soucier de la nécessité d’épargner les civils. Ce soutien inconditionnel découle d’une identification occidentale avec les Israéliens face à l’attentat du 7 octobre 2023 fort semblable à la « compassion narcissique » des Européens envers les Américains face aux attentats du 11 septembre 2001. J’ai décrit cette dernière il y a 22 ans comme un genre de compassion « qui s’émeut beaucoup plus des calamités qui frappent les semblables que de celles des populations dissemblables »[1].

Les Juifs en tant que non-blancs
Et pourtant, la perception des Juifs européens comme blancs est assez récente en perspective historique. Durant la majeure partie de leur histoire, les Juifs ont été perçus en Europe comme des « non-blancs », principalement ici au sens de non-Européens : des migrants d’Asie occidentale. Les langues européennes témoignent de cette perception dans la désignation des Juifs comme Israélites, devenue obsolète en anglais et en français, ou leur désignation toujours en vigueur comme Hébreux en grec, italien, russe et dans d’autres langues d’Europe de l’Est. Les Juifs d’Europe eux-mêmes ont longtemps adhéré à une auto-identification en tant que peuple migrant : non pas une composante des innombrables migrations à l’origine des nations européennes modernes, mais une population spécifiquement déracinée qui a préservé sa singularité à travers les âges conformément au récit biblique.

La modernisation et la démocratisation de l’Europe occidentale et centrale au XIXe siècle ont rendu possible une émancipation et une assimilation progressive des Juifs. Ce processus s’est dangereusement inversé lorsque les Juifs de l’Empire russe ont été de plus en plus pris pour boucs émissaires à la fin du siècle et ont émigré en grand nombre vers l’ouest pour fuir les persécutions, dans le contexte de la première crise majeure de l’économie capitaliste mondiale – la Grande Dépression de 1873-1896. La combinaison de la migration et de la crise économique produisit une montée de la xénophobie et du racisme dans les pays de destination – un phénomène récurrent depuis lors. Les Juifs furent la cible de l’extrême droite montante dans l’Europe de la fin du XIXe siècle, une tendance qui s’est poursuivie et a atteint son apogée dans l’entre-deux-guerres du siècle suivant, marqué par la crise [2]. La sécularisation de l’Europe et la montée du scientisme au XIXe siècle se sont traduites par la laïcisation de cette haine renouvelée des Juifs : les vieux préjugés chrétiens cédèrent la place à un « antisémitisme » pseudo-scientifique.

Les Juifs d’Europe occidentale furent distingués des migrants d’Europe de l’Est dans le meilleur des cas, ou mis dans le même sac que ces derniers en tant que membres d’une catégorie raciale inférieure et dénigrée [3]. L’assimilation des Juifs d’Europe occidentale se trouva ainsi inversée en grande partie entre la fin du XIXe siècle et le milieu du XXe siècle, à cette différence près que les Juifs n’étaient plus principalement considérés par ceux qui les haïssent comme « peuple déicide », mais comme membres d’une race sémitique ou ouest-asiatique / proche-orientale abhorrée par les Aryens ou les Européens blancs. La référence à un continuum aryen indo-européen est un dispositif idéologique adopté par le nazisme en quête d’un fondement scientifique en linguistique pour sa vision raciste du monde. Elle était plus acceptable pour des Européens du Sud comme les fascistes italiens que l’autre théorie raciale du « suprématisme blanc » connue sous le nom de « nordicisme », plus proche de la croyance spontanée du racisme ordinaire en Allemagne et dans les autres pays nordiques.

Hitler lui-même était très impressionné par les opinions du linguiste-anthropologue nordiciste Hans Friedrich Karl Günther, qui a explicitement réfuté la caractérisation raciale des Juifs comme sémites ou même comme membres d’une « race juive » [4]. Günther résuma ses idées sur les Juifs, en contraste avec les autres peuples européens, dans son livre de 1924, Rassenkunde Europas (Études raciales de l’Europe). Il n’est pas inutile de citer longuement ces divagations que seuls les historiens spécialisés connaissent aujourd’hui :

Il existe toute une série d’idées fausses à propos des Juifs. Ils appartiendraient à une « race sémitique ». Mais cela n’existe pas ; il n’y a que des peuples de langue sémitique qui présentent des compositions raciales différentes […] On dit que les Juifs eux-mêmes constituent une race : « la race juive ». C’est également faux ; même un examen superficiel révèle qu’il existe des personnes d’apparence très différente parmi les Juifs. Les Juifs sont censés constituer une communauté religieuse. C’est l’erreur la plus superficielle, car il y a des Juifs de toutes les croyances européennes, et en particulier parmi les Juifs ayant les opinions judéo-ethniques [jüdisch-völkisch] les plus fortes, les sionistes, beaucoup n’adhèrent pas à la croyance mosaïque. […]
Les Juifs sont un peuple [Volk] et, comme les autres peuples, ils peuvent être divisés en plusieurs croyances et, comme les autres peuples également, ils sont composés de races différentes. Les deux races qui constituent le fondement du peuple juif sont […] les Ouest-Asiatiques [vorderasiatische, également traduit par Proche-Orientaux] et les Orientaux. Il existe également des influences plus légères des races hamitique, nordique, centrasiatique et noire, et des influences plus fortes de la race balte occidentale et, surtout, orientale.
Deux parties du peuple juif se distinguent : les Juifs du sud (Séphardim) et les Juifs de l’Est (Ashkénazes) ; les premiers représentent 1 dixième, les seconds 9 dixièmes de la population totale d’environ 15 millions d’habitants. Les premiers constituent principalement la juiverie d’Afrique, de la péninsule balkanique, d’Italie, d’Espagne, du Portugal et une partie de la juiverie de France, de Hollande et d’Angleterre. Ces Juifs du Sud représentent un mélange oriental-ouest-asiatique-ouest-hamitique-nordique-nègre avec prédominance de la race orientale. Les Juifs orientaux constituent la juiverie de Russie, de Pologne, de Galice, de Hongrie, d’Autriche et d’Allemagne, probablement la plus grande partie de la juiverie nord-américaine et une partie de la juiverie d’Europe occidentale. Ils représentent un mélange ouest-asiatique-oriental-est-baltique-centrasiatique-nordique-hamitique-nègre avec une certaine prédominance de la race ouest-asiatique.

Dans les deux branches du judaïsme, cependant, des processus de sélection similaires se sont apparemment produits, qui ont pour ainsi dire rétréci le cercle des croisements possibles dans un tel mélange racial, de sorte que des traits physiques et mentaux apparaissent encore et encore dans le peuple juif dans son ensemble, qui sont tellement semblables parmi une grande proportion de Juifs de tous les pays que l’impression d’une « race juive » peut facilement surgir [5].

Günther approuvait la « solution » sioniste à la question juive :

Une solution valable et claire à la question juive réside dans la séparation entre Juifs et non-Juifs souhaitée par le sionisme, dans la disjonction entre Juifs et peuples non-Juifs. Au sein des peuples européens, dont la composition raciale est complètement différente de celle du judaïsme, ce dernier agit, selon les mots de l’écrivain juif Buber, comme « un coin que l’Asie a enfoncé dans la structure de l’Europe, un ferment d’agitation et de troubles »[6].

Le Buber cité par Günther n’est autre que le célèbre philosophe autrichien Martin Buber, alors connu comme fervent partisan du sionisme et admirateur de Theodor Herzl. Günther a emprunté sa citation à la conclusion suivante d’un article intitulé « Le pays des Juifs » (1910) republié en 1916 dans le recueil de Buber, Die Jüdische Bewegung (Le mouvement juif) :

Nous sommes ici un coin que l’Asie a enfoncé dans la structure de l’Europe, un ferment d’agitation et de troubles. Retournons dans le sein de l’Asie, dans le grand berceau des nations, qui fut aussi et reste le berceau des dieux, et retrouvons ainsi le sens de notre existence : servir le divin, éprouver le divin, être dans le divin [7].

Les diatribes racistes à la Günther étaient répandues outre-Atlantique dans la même période de l’entre-deux-guerres. Un auteur éminent à cet égard est Kenneth L. Roberts, journaliste et membre de l’élite WASP [acronyme de « blanche anglo-saxonne protestante »] (il était diplômé de l’Université de Cornell), dont le discours était dépourvu des divagations pseudo-savantes de Günther et se trouve donc être plus proche en quelque sorte du racisme anti-migrants de notre époque. Roberts dissémina ses opinions dans divers journaux et magazines et publia en 1922 un recueil de ses articles, sous le titre Why Europe Leaves Home(Pourquoi l’Europe émigre). Voici un échantillon de sa prose, extrait de ce livre :

Même les autorités les plus libérales en matière d’immigration constatent que les Juifs de Pologne sont des parasites humains, vivant les uns des autres et de leurs voisins d’autres races par des moyens trop souvent sournois, et qu’ils continuent d’exister de la même manière après leur arrivée en Amérique, et sont donc fortement indésirables en tant qu’immigrants [8].
Les races ne peuvent pas être croisées sans se bâtardiser, pas plus que les races de chiens ne peuvent être croisées sans se bâtardiser. La nation américaine a été fondée et développée par la race nordique, mais si quelques millions de membres supplémentaires des races alpine, méditerranéenne et sémitique sont déversés parmi nous, le résultat sera inévitablement une race hybride de gens qui ne valent rien et sont aussi inutiles que les bâtards bons à rien d’Amérique centrale et d’Europe du Sud-Est [9].
L’Amérique est confrontée à un état d’urgence perpétuelle aussi longtemps que ses lois autorisent des millions d’étrangers non nordiques à affluer par ses portes maritimes. Lorsque cet afflux cessera de créer un état d’urgence, l’Amérique sera devenue complètement bâtarde [10].
Il ne faut pas non plus oublier que les Juifs de Russie, de Pologne et de presque toute l’Europe du Sud-Est ne sont pas des Européens : ils sont Asiatiques et en partie, au moins, Mongoloïdes. […] Il y aura bien sûr de nombreuses personnes bien intentionnées pour nier que les Juifs russes et polonais aient du sang mongoloïde dans leurs veines. Ce fait peut néanmoins être facilement vérifié dans la section de l’Encyclopédie juive traitant des Khazars. L’Encyclopédie juive affirme que les Khazars étaient « un peuple d’origine turque dont la vie et l’histoire sont étroitement liées aux tout débuts de l’histoire des Juifs de Russie »[11].

Le blanchiment des Juifs occidentaux
Par un paradoxe historique, le pire épisode qu’ont jamais connu les Juifs européens au cours de leur épreuve longue de plusieurs siècles – c’est-à-dire, bien sûr, le génocide nazi des Juifs, communément désigné sous l’appellation Shoah en français et Holocauste en anglais – a été le principal catalyseur de leur reconnaissance dans les décennies de l’après-guerre en tant que composante légitime de la civilisation occidentale, au même titre que les Européens d’ascendance chrétienne. C’est avant tout aux États-Unis que cette assimilation et la redéfinition de la civilisation occidentale comme « judéo-chrétienne » ont progressé. Comme Peter Novick l’a observé en 1999 :

Avant la Seconde Guerre mondiale, il était courant d’entendre l’Amérique décrite comme un pays chrétien – une désignation statistiquement irréfutable. Après la guerre, les dirigeants d’une société non moins chrétienne dans sa très grande majorité avaient accommodé les Juifs en venant à parler de nos « traditions judéo-chrétiennes » ; ils élevèrent les 3 pour cent de la société américaine qui étaient juifs à une parité symbolique avec des groupes bien plus importants en parlant de « protestants-catholiques-juifs » [12].

Mark Silk a décrit comment l’idée « judéo-chrétienne » émergea dans la lutte idéologique contre le fascisme et comment elle fut intégrée après la Seconde Guerre mondiale comme pedigree idéologique distinctif, permettant d’établir un contraste avec les deux variantes – fasciste et communiste – du totalitarisme. Cette idée devint ainsi un ingrédient majeur de l’idéologie de la guerre froide :

[…] la désignation « judéo-chrétien » et ses termes associés étaient imparables. Après les révélations sur les camps de la mort nazis, une expression telle que « notre civilisation chrétienne » apparaissait sinistrement exclusive ; une plus grande inclusion était nécessaire afin de proclamer la spiritualité de l’American Way [la voie américaine]. « Lorsque nos propres dirigeants spirituels cherchent les fondements moraux de nos idéaux démocratiques », a observé Arthur E. Murphy de Cornell lors de la Conférence de 1949 sur science, philosophie et religion, « c’est dans “notre héritage judéo-chrétien”, la culture de “l’Occident”, ou “la tradition américaine”, qu’ils ont tendance à les trouver ». Pour sa part, Murphy opposait les dirigeants spirituels américains aux dirigeants de l’Union soviétique, qui proclamaient leurs propres idéaux moraux de haut vol. […] « Judéo-chrétien » servait le même objectif, en soulignant, d’une manière qui incluait les Américains de toutes confessions, la piété des États-Unis contrastant avec l’impiété de l’URSS [13].

Dans son livre de 1998, How Jews Became White Folks and What That Says about Race in America (Comment les Juifs sont devenus des blancs et ce que cela nous dit sur la race en Amérique), Karen Brodkin a décrit la transformation corrélée des Juifs américains en participants de plain-pied au mode de vie américain :

L’antisémitisme américain faisait partie d’un genre plus large de racisme de la fin du XIXe siècle, dirigé contre tous les immigrants d’Europe du Sud et de l’Est, ainsi que contre les immigrants asiatiques, sans parler des Afro-Américains, des Amérindiens et des Mexicains. Ces opinions justifiaient toutes sortes de traitements discriminatoires, y compris la fermeture des portes à l’immigration en provenance d’Europe et d’Asie entre 1882 et 1927. Cette situation changea radicalement après la Seconde Guerre mondiale. Les mêmes personnes qui avaient promu le nativisme et la xénophobie étaient soudainement empressées de croire que les personnes d’origine européenne qu’elles avaient expulsées, vilipendées comme membres de races inférieures et empêchées d’immigrer quelques années auparavant, étaient désormais des citoyens banlieusards modèles de la classe moyenne blanche [14].

Hollywood et « l’industrie culturelle » ont naturellement été de puissants contributeurs à cette mutation idéologique, notamment dans leur représentation de la Seconde Guerre mondiale et de la Shoah. Les Juifs représentés dans les films et programmes télévisés au fil des ans ont été pour l’essentiel des Juifs assimilés – presque sans représentation des Juifs est-européens traditionalistes, en particulier les Juifs orthodoxes comme les haredim ou les juifs hassidiques, bien qu’ils aient été proportionnellement les plus affectés par la Shoah. Une anecdote révélatrice à cet égard est ce à quoi Barbra Streisand fut confrontée lorsqu’elle tenta d’obtenir le soutien d’Hollywood pour son projet de réalisation d’un film fondé sur « Yentl », la nouvelle d’Isaac Bashevis Singer (en anglais : « Yentl, the Yeshiva Boy »). La directrice de la production de la 20th Century Fox, elle-même juive, lui aurait dit : « L’histoire est trop ethnique, trop ésotérique » [15]. La mini-série télévisée Holocaust de 1978 – « sans aucun doute, le moment le plus important de l’entrée de l’Holocauste dans la conscience américaine générale », selon Peter Novick [16] – représentait une famille fictive de Juifs allemands de classe moyenne, bien sûr très assimilés.

Le blanchiment des Juifs américains s’est accompagné d’un changement dans l’utilisation politique dominante de la Shoah. Au lieu d’être un cas extrême de ce à quoi peuvent conduire les racismes de toutes sortes, et donc une référence invoquée dans la lutte contre toutes les formes de racisme, la Shoah fut transformée en point culminant de la haine spécifique des seuls Juifs. De cri d’alarme contre tous les types de persécution raciste pouvant conduire à un génocide, « plus jamais ça » se trouva réduit à un cri d’alarme contre le racisme anti-juif conçu comme singulier. Comme Peter Novick l’a noté en 1999 : « Au cours des dernières décennies, les principales organisations juives ont invoqué l’Holocauste pour affirmer que l’antisémitisme est une forme de haine particulièrement virulente et meurtrière. » Cela contrastait avec l’accent qui avait été mis sur « les racines psychologiques communes de toutes les formes de préjugés racistes » dans les premières décennies de l’après-guerre, lorsque les mêmes organisations juives de premier plan « pensaient qu’elles pouvaient servir la cause de l’autodéfense juive en s’attaquant aux préjugés et à la discrimination contre les Noirs aussi bien qu’en s’attaquant directement à l’antisémitisme » [17].

La célèbre protestation du poète martiniquais Aimé Césaire en 1950 contre les deux poids, deux mesures de l’Occident qui se manifestent dans la réaction au sort des Juifs européens comparé à celui des non-blancs s’en trouva ainsi rétrospectivement validée. Césaire la formula dans son célèbre Discours sur le colonialisme de Césaire, où il affirmait, en se référant au « très distingué, très humaniste, très chrétien bourgeois du XXe siècle », que

ce qu’il ne pardonne pas à Hitler, ce n’est pas le crime en soi, le crime contre l’homme, ce n’est pas l’humiliation de l’homme en soi, c’est le crime contre l’homme blanc, c’est l’humiliation de l’homme blanc, et d’avoir appliqué à l’Europe des procédés colonialistes dont ne relevaient jusqu’ici que les Arabes d’Algérie, les coolies de l’Inde et les  nègres d’Afrique [18].

Cette affirmation n’était vraie qu’en partie en 1950. Car, comme nous l’avons vu, les Juifs européens n’étaient pas considérés comme des blancs par une grande partie des blancs « bourgeois du XXe siècle » avant la Shoah. Ce n’est que plus tard que la Shoah acquit dans la représentation commune le caractère d’un crime contre des blancs. Ce qui reste vrai, cependant, c’est que le traitement dégradant et finalement génocidaire infligé par les nazis aux Juifs et à quelques autres catégories humaines a eu lieu au cœur de l’Europe, et non quelque part au cœur des ténèbres, loin de la vue des Européens, où il aurait certainement suscité beaucoup moins de réprobation de leur part.

La conversion de l’antisémitisme en philosionisme
Distinguer la Shoah comme irréductible à une instance de racisme et de génocide génériques a permis une autre opération : l’identification de l’État d’Israël à la condition juive, même s’il est l’antithèse même de cette condition historique – un État à majorité juive, fondé sur une discrimination raciste contre les non-juifs, lourdement militarisé et engagé dans la persécution d’un autre peuple, les Palestiniens, et dans l’occupation de leurs terres, avec des attaques meurtrières périodiques contre eux jusqu’au massacre de proportion génocidaire perpétré à Gaza au moment où ces lignes sont écrites.

Cette perversion de la mémoire historique a été rendue possible par l’assimilation de deux ensembles d’attitudes très différents : d’une part, le racisme des Européens blancs, ou de leurs rejetons sur d’autres continents, contre les minorités juives historiquement persécutées en leur sein ; d’autre part, la réaction des Palestiniens et d’autres peuples du Sud, ou originaires de celui-ci, face au comportement colonial brutal d’un État qui insiste sur son auto-qualification de « juif », excluant ainsi une partie importante de sa propre population. Cette assimilation a été réalisée en désignant un « nouvel antisémitisme » défini comme incluant une critique de l’État d’Israël [19]. Ainsi, l’assimilation des Juifs au sionisme, qui caractérisait jusqu’ici les antisémites arabes face aux courants arabes progressistes qui insistaient sur la nécessité d’établir une distinction claire entre les deux catégories, est devenue une marque, non seulement du sionisme, pour lequel cette assimilation a été constitutive de sa prétention originelle de parler au nom de la « nation juive » mondiale, mais aussi d’un « philosémitisme » occidental transformé en soutien inconditionnel à l’État sioniste, même s’il lui arrive d’être parfois timidement critique.

Sans surprise, quoique paradoxalement, ce processus a atteint son apogée en Allemagne, le pays natal du nazisme et des auteurs du génocide juif. Il a été étudié de longue date par Frank Stern dans son livre de 1992 The Whitewashing of the Yellow Badge: Antisemitism and Philosemitism in Postwar Germany (Le Lavage de l’étoile jaune : antisémitisme et philosémitisme dans l’Allemagne de l’après-guerre), à l’origine une thèse de doctorat soutenue à l’Université de Tel Aviv [20]. L’étude de Stern a été mise à jour et complétée par Daniel Marwecki dans son livre de 2020, Germany and Israel: Whitewashing and Statebuilding (Allemagne et Israël : disculpation et édification de l’État) [21]. Naturellement, l’identification à Israël dans son combat contre les Palestiniens et autres Arabes se transforme facilement en vecteur de racisme anti-arabe et antimusulman, le racisme même sur lequel repose l’idéologie dominante au sein d’Israël. D’où la facilité avec laquelle des courants d’extrême droite, traditionnellement antisémites, en Europe ont eu recours au philosionisme pour se « disculper » en dissolvant les Juifs dans une blancheur générique tout en continuant à considérer Israël comme le seul pays auxquels ils appartiennent légitimement.

Face à la récente séquence d’événements à Gaza, l’attitude philosémitique pro-israélienne est tombée dans le grotesque en Allemagne, comme l’a décrit de manière frappante Susan Neiman :

Les dénonciations allemandes du Hamas et les déclarations de solidarité inébranlable avec Israël sont devenues si automatiques que l’une d’entre elles est apparue sur le distributeur automatique de ma banque locale : « Nous sommes horrifiés par l’attaque brutale contre Israël. Nos sympathies vont au peuple israélien, aux victimes, à leurs familles et amis. » L’avis s’est affiché une première fois lorsque j’ai tapé sur l’écran, une nouvelle fois lorsque j’ai choisi une langue, une troisième fois lorsque j’ai tapé mon code PIN et encore une fois lorsque l’argent est sorti de la fente. Qu’elles proviennent d’une machine ou d’un politicien, de telles déclarations ne me rassurent pas. Au contraire, la répétition de formules insipides accroît mes craintes croissantes de réactions négatives. Les défenses réflexives de l’Allemagne envers Israël, tout en s’abstenant de critiquer son gouvernement ou son occupation de la Palestine, ne peuvent que susciter du ressentiment. La plupart des politiciens reconnaissent le problème en privé mais se sentent obligés de répéter des phrases creuses en public – même s’ils savent que les partis de droite utilisent le massacre en Israël pour attiser le sentiment anti-immigration en Allemagne [22].

Eleonore Sterling, née Oppenheimer, dont les parents sont morts au cours de la Shoah, exprima les choses très justement dans Die Zeit en 1965 : « L’antisémitisme et la nouvelle idolâtrie des Juifs ont beaucoup en commun. »[23] Tous deux, ajouta-t-elle, « proviennent de l’incapacité psychique de véritablement respecter “l’autre”. Pour l’antisémite autant que pour le philosémite, le Juif reste un étranger. » Le blanchiment des Juifs a ainsi dérivé vers une admiration fort répréhensible pour un Israël perçu comme super-blanc, avant-poste du suprématisme blanc au Moyen-Orient – dans ce berceau de l’Islam, premier objet de haine du racisme actuel dans le Nord mondial. Lorsque ledit avant-poste se lance dans une fureur de meurtre et de destruction à Gaza que le Washington Post a décrite comme étant menée « à un rythme et à un niveau de dévastation qui dépassent probablement n’importe quel conflit récent » [24], la réaction inévitable est une résurgence de l’antisémitisme centré autour de l’État israélien – transformant ainsi, hélas, le mantra du « nouvel antisémitisme » en prophétie auto-réalisatrice.

* Cet essai s’appuie sur la communication que j’ai présentée le 11 juin 2022 sous le même titre, lors de la conférence « Hijacking Memory: The Holocaust and the New Right » (Le détournement de la mémoire : l’Holocauste et la nouvelle droite) organisée à Berlin par le Einstein Forum et le Centre de recherche sur l’antisémitisme de la Technische Universität Berlin. Je remercie Brian Klug et Stephen Shalom qui ont lu et commenté une version antérieure de cet essai. Ce texte est destiné à paraître dans un ouvrage collectif en allemand issu de la conférence de 2022. Je l’ai moi-même traduit à partir de l’original anglais.

Gilbert Achcar, 27 décembre 2023
https://blogs.mediapart.fr/gilbert-achcar/blog/180324/le-blanchiment-des-juifs-europeens-et-l-utilisation-abusive-de-la-memoire-de-la-shoah
El blanqueamiento de los judíos europeos y el mal uso de la memoria del Holocausto
https://vientosur.info/el-blanqueamiento-de-los-judios-europeos-y-el-mal-uso-de-la-memoria-del-holocausto/

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2023-11-01 – Guerre au Proche-orient – J. Confavreux

Le mot « génocide » est de plus en plus employé pour désigner ce qui se passe aujourd’hui à Gaza. Un usage qui demeure incertain d’un point de vue juridique mais possède déjà des effets politiques.

Joseph Confavreux

1 novembre 2023

IlIl n’est pas le premier à prononcer le terme de « génocide » pour désigner l’action de l’armée israélienne actuellement en cours à Gaza, mais sa parole pèse d’un poids particulier, d’autant plus dans un pays qui a pu forger l’expression « G-word » pour éviter d’avoir à employer un mot si lourdement chargé.

Dans une lettre datée du 28 octobre, Craig Mokhiber, directeur du bureau new-yorkais du Haut-Commissariat aux droits de l’homme (HCDH) de l’ONU, qui a mené dans ce cadre plusieurs missions de défense des droits humains, notamment à Gaza dans les années 1990, annonce sa démission. Et invoque comme motif le fait que, « encore une fois, nous voyons un génocide se dérouler sous nos yeux, et l’Organisation que nous servons semble impuissante à l’arrêter ».

Cet avocat se dit bien placé pour savoir que « le concept de génocide a souvent fait l’objet d’abus politiques ». Mais, poursuit-il, « le massacre général actuel du peuple palestinien, enraciné dans une idéologie coloniale ethno-nationaliste, poursuivant des décennies de persécution et d’expulsions systématiques, entièrement fondé sur le fait que ces populations sont arabes, et associé aux déclarations d’intention explicites du gouvernement et de l’armée israéliens, ne laissent aucune place au doute ou au débat ».

Convoquant le fait qu’à « Gaza, des maisons civiles, des écoles, des églises, des mosquées et des établissements médicaux sont attaqués sans raison alors que des milliers de civils sont massacrés », il va jusqu’à affirmer que nous serions en face, regardant les Palestinien·nes, d’un « cas d’école de génocide ».

Des funérailles de victimes des bombardements israéliens à Deir el-Balah, dans la bande de Gaza, mardi 31 octobre. © Photo Mahmud Hams / AFP

Le terme de « génocide » est aussi prononcé par des chercheurs, tels les philosophes Étienne Balibar et Judith Butler (membre du bureau de Jewish Voice for Peace) ou le sociologue Didier Fassin, des membres du personnel politique allant du président brésilien à une ministre de l’actuel gouvernement espagnol, mais aussi des organismes comme le Centre américain pour les droits constitutionnels ou le mouvement états-unien IfNotNow

Et ce, sans même développer l’emploi du terme dans la bouche de très nombreux Gazaoui·es, mais aussi chez les délégués officiels de la Palestine, qu’il s’agisse de son représentant à l’ONU ou de son ambassadrice en France, Hala Abou Hassira, qui a assuré vendredi 27 octobre que la Palestine « n’oubliera pas et ne pardonnera pas ».

De façon plus violente et sans employer spécifiquement le terme, l’intention prêtée à Israël de commettre un génocide à Gaza a été particulièrement visible dans des caricatures, des pancartes et des slogans comparant les Israéliens et les nazis.

Pour l’organisation américaine Genocide Watch, qui classe les processus de génocide selon dix « paliers », la guerre entre Israël et le Hamas aurait déjà atteint six paliers, notamment la discrimination et la déshumanisation, sensible par exemple dans les propos du ministre de la défense Yoav Gallant affirmant combattre des « animaux humains ». Mais on n’aurait pas encore atteint le « stade 9 » du génocide, à savoir l’extermination.

L’importance cardinale de l’intention

D’un point de vue juridique, il faudra encore beaucoup de temps pour que la Cour pénale internationale (CPI), habilitée à qualifier un tel crime, se prononce sur le sujet, même si elle s’avère d’ores et déjà mobilisée sur ce qui s’est passé à Gaza et autour de l’enclave ces dernières semaines, puisque son procureur actuel, le Britannique Karim Khan, s’est rendu au poste-frontière de Rafah, entre l’Égypte et Gaza, dimanche 29 octobre.

Le « génocide » se distingue de possibles « crimes de guerre » et de « crimes contre l’humanité » au sujet desquels la CPI a déjà indiqué vouloir enquêter, tant du côté du Hamas que d’Israël. Pour rappel, un « crime de guerre » est, selon la définition des Nations unies, une action illégale ou une série d’actions qui violent le droit international humanitaire prévu pour protéger les civils en situation de guerre.

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15 octobre 2023

Les « crimes contre l’humanité » n’ont, eux, pas nécessairement à avoir lieu dans le contexte d’un conflit armé pour être caractérisés. Ils n’ont pas été définis et codifiés dans un traité dédié comme l’ont été les crimes de guerre dans les conventions de Genève, mais ils incluent notamment l’apartheid, l’esclavage, la déportation de populations ou les tueries de masse, et se déroulent dans le contexte d’une attaque systématique contre une population civile. Ils sont caractérisés par leur violence à grande échelle, sur une population ou un territoire, et par la manière méthodique avec laquelle ils sont menés.

Le terme de génocide a, lui, été forgé par Raphael Lemkin, juriste polonais témoin des massacres perpétrés par les nazis durant l’Holocauste. Il a été reconnu pour la première fois par les Nations unies comme un crime en droit international en 1946, puis codifié dans la convention sur le génocide, en 1948.

Tout comme les crimes contre l’humanité, le génocide peut être constitué par des actes de nature différente. L’article 2 de la convention de 1948 le définit comme suit : « Le génocide s’entend de l’un quelconque des actes ci-après, commis dans l’intention de détruire, en tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux, comme tel : meurtres de membres du groupe ; atteinte grave à l’intégrité physique ou mentale de membres du groupe ; soumission intentionnelle du groupe à des conditions d’existence devant entraîner sa destruction physique totale ou partielle ; mesures visant à entraver les naissances au sein du groupe ; transfert forcé d’enfants du groupe à un autre groupe. »

La différence principale entre les crimes contre l’humanité et le génocide réside alors dans le fait que, pour que des actes puissent être qualifiés de génocide, ils doivent être commis « avec l’intention de détruire ». Du fait de cette importance cardinale de l’intention, souvent difficile à établir même si la justice internationale peut prendre en compte pour cela non seulement les discours, mais aussi les actes, le terme de génocide n’est employé que pour le massacre systématique des Héréros et des Namas dans le Sud-Ouest africain allemand (1904-1908), celui des Arméniens par les Turcs (1915-1916), des juifs et juives pendant la Seconde Guerre mondiale, au Cambodge sous la houlette des Khmers rouges dans les années 1970 et lors du génocide des Tutsis du Rwanda en 1994.

Affirmer qu’un pays, créé pour servir de refuge à un peuple génocidé, commet aujourd’hui un génocide, c’est remettre en cause les raisons mêmes de l’existence d’Israël.

Dans les champs politiques et médiatiques, son usage est toutefois bien plus large. L’utilisation d’un tel terme par les Palestinien·nes et leurs soutiens, dans le contexte des bombardements sur Gaza, obéit à deux intentions principales qui demeurent distinctes, même si elles peuvent se recouvrir par endroits.

Il peut s’agir, avant tout, d’une arme politique dotée de trois munitions. D’abord, frapper les esprits pour souligner l’ampleur des dégâts et meurtres commis par l’armée israélienne ces derniers jours. Ensuite resituer la guerre actuelle contre Gaza, qu’Israël présente comme des représailles au 7 octobre dernier, dans l’histoire longue de la dépossession des droits et des terres des Palestinien·nes depuis 1948.

Enfin, rappeler que le gouvernement israélien actuel est dépendant du soutien d’extrémistes messianiques juifs, à l’instar des ministres Bezalel Smotrich et Itamar Ben Gvir, qui n’ont jamais fait mystère de leur volonté d’éliminer la présence palestinienne du Jourdain à la mer Méditerranée.

Mais à cela se superpose aussi un usage sans doute plus déflagrateur et stigmatisant, consistant à renvoyer sur Israël, qui puise sa légitimité historique dans le génocide des juifs d’Europe, l’anathème de commettre un génocide tout en prétendant être le refuge d’un peuple victime de génocide. Affirmer qu’un pays, créé pour servir de refuge à un peuple génocidé, commet aujourd’hui un génocide, c’est remettre en cause les raisons mêmes de l’existence d’Israël.

Quelle que soit la définition juridique qui sera retenue des actes commis aujourd’hui à Gaza, l’emploi du terme de génocide paraît donc inacceptable à la plupart des Israélien·nes, mais aussi aux yeux de nombreuses personnes sensibles, directement ou indirectement, à la mémoire de l’Holocauste.

Réactivation mémorielle

Dans ce cadre, on insiste sur le fait que l’échelle et l’intentionnalité de la destruction des juifs pendant la Shoah demeurent incommensurables avec ce qui se déroule aujourd’hui à Gaza.

Ou l’on juge que le droit d’Israël à se défendre est soutenu par le fait que ce pays s’est fondé sur la promesse d’un « plus jamais ça », justifiant par avance tous les moyens mis en œuvre pour mettre le Hamas hors d’état de nuire, dans la mesure où cette organisation s’est avérée, le 7 octobre dernier, n’être pas seulement une organisation de la résistance palestinienne, mais aussi une organisation tueuse de juifs et pas seulement de colons.

Pour nombre d’Israélien·nes, les massacres du 7 octobre ont fonctionné comme une réactivation mémorielle du génocide mené par les nazis. Une des expressions les plus limpides de cette dimension de l’équation se trouve sous la plume de l’écrivain israélien Yaniv Iczkovits.

Dans une tribune publiée mardi 31 octobre dans Le Monde, cet homme qui avait fait partie des militaires refusant de servir en 2002 en Cisjordanie, et qui continue de juger que « l’occupation israélienne est immorale et que les extrémistes israéliens veulent anéantir toute possibilité de réconciliation », explique pourquoi il a choisi, aujourd’hui, de rejoindre les réservistes de Tsahal.

Personne ne croyait qu’un jour notre post-traumatisme redeviendrait traumatisme.

Yaniv Iczkovits, écrivain israélien

Le texte commence ainsi : « La journée du 7 octobre a changé Israël. Elle l’a changé en profondeur, en lui infligeant une douleur que nous pensions ne plus jamais connaître. Une douleur dont nos grands-parents, et leurs grands-parents, parlaient. Ils nous ont raconté les maraudeurs venant brûler et piller, les soldats rassemblant les gens pour les fusiller dans une fosse, la barbarie inhumaine et l’absence totale de pitié. »

Et il ajoute : « Cette douleur est profondément gravée dans notre mémoire à tous. Nous avons écrit des livres à son sujet, composé des chansons, nous nous sommes levés lors de journées commémoratives, nous l’avons étudiée dans nos cours d’histoire. Mais personne ne pensait que nous allions la revivre dans notre chair. Personne ne croyait qu’un jour notre post-traumatisme redeviendrait traumatisme. »

Cette réactivation mémorielle est indéniable, même si côté palestinien on rappelle, dans le cadre d’un conflit des mémoires en train de se réordonner en concurrence des victimes, que le déplacement forcé de centaines de milliers de personnes du nord de Gaza vers le sud ne peut être ressenti que comme une réitération de la Nakba (la « catastrophe » en arabe).

En 1948, plus de 700 000 Palestinien·nes avait été expulsé·es de leurs terres, en particulier vers Gaza, espace dans lequel les centaines de milliers de déplacé·es des dernières semaines peuvent légitimement se vivre comme des réfugiés doublement expulsés.

Le parallèle entre la situation qu’a fait vivre le Hamas à Israël et celle que le régime nazi a fait subir aux juifs se répand, mais n’emporte pas l’ensemble de la société israélienne.

Mais que le passé percute le présent ne justifie pas les parallèles faciles entre le Hamas et les nazis, pourtant répandus des profondeurs de la société israélienne au plus haut sommet de l’État. Benyamin Nétanyahou a ainsi affirmé, devant le chancelier allemand Olaf Scholz, que les membres du Hamas étaient des « nouveaux nazis ».

Cette rengaine se répand comme rarement, mais elle n’est pas pour autant inédite. Déjà en 1982, au moment de l’envahissement du Liban par les troupes israéliennes, le premier ministre israélien Menahem Begin avait comparé Yasser Arafat dans son refuge de Beyrouth à Adolf Hitler dans son bunker à la fin de la Seconde Guerre mondiale…

Le parallèle entre la situation qu’a fait vivre le Hamas à Israël et celle que le régime nazi a fait subir aux juifs se répand, mais n’emporte toutefois pas l’ensemble de la société israélienne, toujours plus hétérogène et complexe que ses représentants officiels.

Dani Dayan, le président de Yad Vashem, le mémorial israélien de la Shoah situé à Jérusalem, a ainsi sermonné l’ambassadeur d’Israël à l’ONU, Gilad Erdan, pour avoir, lundi 30 octobre, accroché une étoile jaune sur sa poitrine, ornée de la phrase « Never again » : « Cet acte déshonore les victimes de l’Holocauste ainsi que l’État d’Israël. L’étoile jaune symbolise l’impuissance du peuple juif et sa dépendance envers les autres. Nous avons désormais un État indépendant et une armée forte. Nous sommes maîtres de notre propre destin. »

Raz Segal, historien qui dirige le programme « Holocaust and Genocide Studies » à l’université Stockton, aux États-Unis, s’est aussi emporté, dans un texte publié dans le Guardian, sur la manière dont Israël avait tendance à faire de l’Holocauste une arme visant moins à entretenir une mémoire encore à vif qu’à abattre symboliquement et géopolitiquement le camp palestinien.

Benyamin Nétanyahou avait déjà tenté d’attribuer, contre toute rigueur historique, l’idée de la « solution finale » au grand mufti de Jérusalem, qui aurait soufflé à Adolf Hitler la nécessité d’exterminer tous les juifs de la planète. La volonté de dresser un parallèle entre les Palestiniens et les nazis justifiait alors d’exonérer des décennies d’antisémitisme européen dans le sort fait aux juifs pendant la Seconde Guerre mondiale.

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Mais il juge aussi que le droit d’Israël de se défendre face au Hamas ne lui donne pas le droit « de tuer en masse des civils » et met en garde contre un possible crime contre l’humanité, voire un génocide, aujourd’hui en cours à Gaza. Il ose pour cela un autre parallèle historique dérangeant : « Israël ne peut pas transformer Gaza en camp d’extermination. »

Joseph Confavreux

 

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