2023-11-01 – Guerre au Proche-orient – J. Confavreux

Le mot « génocide » est de plus en plus employé pour désigner ce qui se passe aujourd’hui à Gaza. Un usage qui demeure incertain d’un point de vue juridique mais possède déjà des effets politiques.

Joseph Confavreux

1 novembre 2023

IlIl n’est pas le premier à prononcer le terme de « génocide » pour désigner l’action de l’armée israélienne actuellement en cours à Gaza, mais sa parole pèse d’un poids particulier, d’autant plus dans un pays qui a pu forger l’expression « G-word » pour éviter d’avoir à employer un mot si lourdement chargé.

Dans une lettre datée du 28 octobre, Craig Mokhiber, directeur du bureau new-yorkais du Haut-Commissariat aux droits de l’homme (HCDH) de l’ONU, qui a mené dans ce cadre plusieurs missions de défense des droits humains, notamment à Gaza dans les années 1990, annonce sa démission. Et invoque comme motif le fait que, « encore une fois, nous voyons un génocide se dérouler sous nos yeux, et l’Organisation que nous servons semble impuissante à l’arrêter ».

Cet avocat se dit bien placé pour savoir que « le concept de génocide a souvent fait l’objet d’abus politiques ». Mais, poursuit-il, « le massacre général actuel du peuple palestinien, enraciné dans une idéologie coloniale ethno-nationaliste, poursuivant des décennies de persécution et d’expulsions systématiques, entièrement fondé sur le fait que ces populations sont arabes, et associé aux déclarations d’intention explicites du gouvernement et de l’armée israéliens, ne laissent aucune place au doute ou au débat ».

Convoquant le fait qu’à « Gaza, des maisons civiles, des écoles, des églises, des mosquées et des établissements médicaux sont attaqués sans raison alors que des milliers de civils sont massacrés », il va jusqu’à affirmer que nous serions en face, regardant les Palestinien·nes, d’un « cas d’école de génocide ».

Des funérailles de victimes des bombardements israéliens à Deir el-Balah, dans la bande de Gaza, mardi 31 octobre. © Photo Mahmud Hams / AFP

Le terme de « génocide » est aussi prononcé par des chercheurs, tels les philosophes Étienne Balibar et Judith Butler (membre du bureau de Jewish Voice for Peace) ou le sociologue Didier Fassin, des membres du personnel politique allant du président brésilien à une ministre de l’actuel gouvernement espagnol, mais aussi des organismes comme le Centre américain pour les droits constitutionnels ou le mouvement états-unien IfNotNow

Et ce, sans même développer l’emploi du terme dans la bouche de très nombreux Gazaoui·es, mais aussi chez les délégués officiels de la Palestine, qu’il s’agisse de son représentant à l’ONU ou de son ambassadrice en France, Hala Abou Hassira, qui a assuré vendredi 27 octobre que la Palestine « n’oubliera pas et ne pardonnera pas ».

De façon plus violente et sans employer spécifiquement le terme, l’intention prêtée à Israël de commettre un génocide à Gaza a été particulièrement visible dans des caricatures, des pancartes et des slogans comparant les Israéliens et les nazis.

Pour l’organisation américaine Genocide Watch, qui classe les processus de génocide selon dix « paliers », la guerre entre Israël et le Hamas aurait déjà atteint six paliers, notamment la discrimination et la déshumanisation, sensible par exemple dans les propos du ministre de la défense Yoav Gallant affirmant combattre des « animaux humains ». Mais on n’aurait pas encore atteint le « stade 9 » du génocide, à savoir l’extermination.

L’importance cardinale de l’intention

D’un point de vue juridique, il faudra encore beaucoup de temps pour que la Cour pénale internationale (CPI), habilitée à qualifier un tel crime, se prononce sur le sujet, même si elle s’avère d’ores et déjà mobilisée sur ce qui s’est passé à Gaza et autour de l’enclave ces dernières semaines, puisque son procureur actuel, le Britannique Karim Khan, s’est rendu au poste-frontière de Rafah, entre l’Égypte et Gaza, dimanche 29 octobre.

Le « génocide » se distingue de possibles « crimes de guerre » et de « crimes contre l’humanité » au sujet desquels la CPI a déjà indiqué vouloir enquêter, tant du côté du Hamas que d’Israël. Pour rappel, un « crime de guerre » est, selon la définition des Nations unies, une action illégale ou une série d’actions qui violent le droit international humanitaire prévu pour protéger les civils en situation de guerre.

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Les « crimes contre l’humanité » n’ont, eux, pas nécessairement à avoir lieu dans le contexte d’un conflit armé pour être caractérisés. Ils n’ont pas été définis et codifiés dans un traité dédié comme l’ont été les crimes de guerre dans les conventions de Genève, mais ils incluent notamment l’apartheid, l’esclavage, la déportation de populations ou les tueries de masse, et se déroulent dans le contexte d’une attaque systématique contre une population civile. Ils sont caractérisés par leur violence à grande échelle, sur une population ou un territoire, et par la manière méthodique avec laquelle ils sont menés.

Le terme de génocide a, lui, été forgé par Raphael Lemkin, juriste polonais témoin des massacres perpétrés par les nazis durant l’Holocauste. Il a été reconnu pour la première fois par les Nations unies comme un crime en droit international en 1946, puis codifié dans la convention sur le génocide, en 1948.

Tout comme les crimes contre l’humanité, le génocide peut être constitué par des actes de nature différente. L’article 2 de la convention de 1948 le définit comme suit : « Le génocide s’entend de l’un quelconque des actes ci-après, commis dans l’intention de détruire, en tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux, comme tel : meurtres de membres du groupe ; atteinte grave à l’intégrité physique ou mentale de membres du groupe ; soumission intentionnelle du groupe à des conditions d’existence devant entraîner sa destruction physique totale ou partielle ; mesures visant à entraver les naissances au sein du groupe ; transfert forcé d’enfants du groupe à un autre groupe. »

La différence principale entre les crimes contre l’humanité et le génocide réside alors dans le fait que, pour que des actes puissent être qualifiés de génocide, ils doivent être commis « avec l’intention de détruire ». Du fait de cette importance cardinale de l’intention, souvent difficile à établir même si la justice internationale peut prendre en compte pour cela non seulement les discours, mais aussi les actes, le terme de génocide n’est employé que pour le massacre systématique des Héréros et des Namas dans le Sud-Ouest africain allemand (1904-1908), celui des Arméniens par les Turcs (1915-1916), des juifs et juives pendant la Seconde Guerre mondiale, au Cambodge sous la houlette des Khmers rouges dans les années 1970 et lors du génocide des Tutsis du Rwanda en 1994.

Affirmer qu’un pays, créé pour servir de refuge à un peuple génocidé, commet aujourd’hui un génocide, c’est remettre en cause les raisons mêmes de l’existence d’Israël.

Dans les champs politiques et médiatiques, son usage est toutefois bien plus large. L’utilisation d’un tel terme par les Palestinien·nes et leurs soutiens, dans le contexte des bombardements sur Gaza, obéit à deux intentions principales qui demeurent distinctes, même si elles peuvent se recouvrir par endroits.

Il peut s’agir, avant tout, d’une arme politique dotée de trois munitions. D’abord, frapper les esprits pour souligner l’ampleur des dégâts et meurtres commis par l’armée israélienne ces derniers jours. Ensuite resituer la guerre actuelle contre Gaza, qu’Israël présente comme des représailles au 7 octobre dernier, dans l’histoire longue de la dépossession des droits et des terres des Palestinien·nes depuis 1948.

Enfin, rappeler que le gouvernement israélien actuel est dépendant du soutien d’extrémistes messianiques juifs, à l’instar des ministres Bezalel Smotrich et Itamar Ben Gvir, qui n’ont jamais fait mystère de leur volonté d’éliminer la présence palestinienne du Jourdain à la mer Méditerranée.

Mais à cela se superpose aussi un usage sans doute plus déflagrateur et stigmatisant, consistant à renvoyer sur Israël, qui puise sa légitimité historique dans le génocide des juifs d’Europe, l’anathème de commettre un génocide tout en prétendant être le refuge d’un peuple victime de génocide. Affirmer qu’un pays, créé pour servir de refuge à un peuple génocidé, commet aujourd’hui un génocide, c’est remettre en cause les raisons mêmes de l’existence d’Israël.

Quelle que soit la définition juridique qui sera retenue des actes commis aujourd’hui à Gaza, l’emploi du terme de génocide paraît donc inacceptable à la plupart des Israélien·nes, mais aussi aux yeux de nombreuses personnes sensibles, directement ou indirectement, à la mémoire de l’Holocauste.

Réactivation mémorielle

Dans ce cadre, on insiste sur le fait que l’échelle et l’intentionnalité de la destruction des juifs pendant la Shoah demeurent incommensurables avec ce qui se déroule aujourd’hui à Gaza.

Ou l’on juge que le droit d’Israël à se défendre est soutenu par le fait que ce pays s’est fondé sur la promesse d’un « plus jamais ça », justifiant par avance tous les moyens mis en œuvre pour mettre le Hamas hors d’état de nuire, dans la mesure où cette organisation s’est avérée, le 7 octobre dernier, n’être pas seulement une organisation de la résistance palestinienne, mais aussi une organisation tueuse de juifs et pas seulement de colons.

Pour nombre d’Israélien·nes, les massacres du 7 octobre ont fonctionné comme une réactivation mémorielle du génocide mené par les nazis. Une des expressions les plus limpides de cette dimension de l’équation se trouve sous la plume de l’écrivain israélien Yaniv Iczkovits.

Dans une tribune publiée mardi 31 octobre dans Le Monde, cet homme qui avait fait partie des militaires refusant de servir en 2002 en Cisjordanie, et qui continue de juger que « l’occupation israélienne est immorale et que les extrémistes israéliens veulent anéantir toute possibilité de réconciliation », explique pourquoi il a choisi, aujourd’hui, de rejoindre les réservistes de Tsahal.

Personne ne croyait qu’un jour notre post-traumatisme redeviendrait traumatisme.

Yaniv Iczkovits, écrivain israélien

Le texte commence ainsi : « La journée du 7 octobre a changé Israël. Elle l’a changé en profondeur, en lui infligeant une douleur que nous pensions ne plus jamais connaître. Une douleur dont nos grands-parents, et leurs grands-parents, parlaient. Ils nous ont raconté les maraudeurs venant brûler et piller, les soldats rassemblant les gens pour les fusiller dans une fosse, la barbarie inhumaine et l’absence totale de pitié. »

Et il ajoute : « Cette douleur est profondément gravée dans notre mémoire à tous. Nous avons écrit des livres à son sujet, composé des chansons, nous nous sommes levés lors de journées commémoratives, nous l’avons étudiée dans nos cours d’histoire. Mais personne ne pensait que nous allions la revivre dans notre chair. Personne ne croyait qu’un jour notre post-traumatisme redeviendrait traumatisme. »

Cette réactivation mémorielle est indéniable, même si côté palestinien on rappelle, dans le cadre d’un conflit des mémoires en train de se réordonner en concurrence des victimes, que le déplacement forcé de centaines de milliers de personnes du nord de Gaza vers le sud ne peut être ressenti que comme une réitération de la Nakba (la « catastrophe » en arabe).

En 1948, plus de 700 000 Palestinien·nes avait été expulsé·es de leurs terres, en particulier vers Gaza, espace dans lequel les centaines de milliers de déplacé·es des dernières semaines peuvent légitimement se vivre comme des réfugiés doublement expulsés.

Le parallèle entre la situation qu’a fait vivre le Hamas à Israël et celle que le régime nazi a fait subir aux juifs se répand, mais n’emporte pas l’ensemble de la société israélienne.

Mais que le passé percute le présent ne justifie pas les parallèles faciles entre le Hamas et les nazis, pourtant répandus des profondeurs de la société israélienne au plus haut sommet de l’État. Benyamin Nétanyahou a ainsi affirmé, devant le chancelier allemand Olaf Scholz, que les membres du Hamas étaient des « nouveaux nazis ».

Cette rengaine se répand comme rarement, mais elle n’est pas pour autant inédite. Déjà en 1982, au moment de l’envahissement du Liban par les troupes israéliennes, le premier ministre israélien Menahem Begin avait comparé Yasser Arafat dans son refuge de Beyrouth à Adolf Hitler dans son bunker à la fin de la Seconde Guerre mondiale…

Le parallèle entre la situation qu’a fait vivre le Hamas à Israël et celle que le régime nazi a fait subir aux juifs se répand, mais n’emporte toutefois pas l’ensemble de la société israélienne, toujours plus hétérogène et complexe que ses représentants officiels.

Dani Dayan, le président de Yad Vashem, le mémorial israélien de la Shoah situé à Jérusalem, a ainsi sermonné l’ambassadeur d’Israël à l’ONU, Gilad Erdan, pour avoir, lundi 30 octobre, accroché une étoile jaune sur sa poitrine, ornée de la phrase « Never again » : « Cet acte déshonore les victimes de l’Holocauste ainsi que l’État d’Israël. L’étoile jaune symbolise l’impuissance du peuple juif et sa dépendance envers les autres. Nous avons désormais un État indépendant et une armée forte. Nous sommes maîtres de notre propre destin. »

Raz Segal, historien qui dirige le programme « Holocaust and Genocide Studies » à l’université Stockton, aux États-Unis, s’est aussi emporté, dans un texte publié dans le Guardian, sur la manière dont Israël avait tendance à faire de l’Holocauste une arme visant moins à entretenir une mémoire encore à vif qu’à abattre symboliquement et géopolitiquement le camp palestinien.

Benyamin Nétanyahou avait déjà tenté d’attribuer, contre toute rigueur historique, l’idée de la « solution finale » au grand mufti de Jérusalem, qui aurait soufflé à Adolf Hitler la nécessité d’exterminer tous les juifs de la planète. La volonté de dresser un parallèle entre les Palestiniens et les nazis justifiait alors d’exonérer des décennies d’antisémitisme européen dans le sort fait aux juifs pendant la Seconde Guerre mondiale.

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Il reviendra à l’actuel procureur de la CPI, Karim Khan, de décider où et sur quels faits il enquête, quand il présentera une inculpation et quelle sera la dénomination de celle-ci. Mais pour le premier procureur de la CPI entre 2003 et 2012, Luis Moreno Ocampo, ainsi qu’il le dit dans un article du journal espagnol El País, il faudrait a priori considérer les crimes perpétrés le 7 octobre par le Hamas comme un crime contre l’humanité et possiblement un génocide.

Mais il juge aussi que le droit d’Israël de se défendre face au Hamas ne lui donne pas le droit « de tuer en masse des civils » et met en garde contre un possible crime contre l’humanité, voire un génocide, aujourd’hui en cours à Gaza. Il ose pour cela un autre parallèle historique dérangeant : « Israël ne peut pas transformer Gaza en camp d’extermination. »

Joseph Confavreux

 

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2024/04/09 Arié Alimi : « C’est parce que je suis juif français que j’ai renoncé à mon identité sioniste »

Figure de la gauche antiraciste, l’avocat Arié Alimi s’ouvre sur la « déflagration » ressentie le 7 octobre et tente de réarticuler ses identités d’homme juif, français, de gauche.

« J’avais forgé le désir de vivre en Israël. Mais il y a eu un moment de bascule qui a été très important dans ma vie », explique l’avocat Arié Alimi.

IDENTITÉS – En écrivant Juif, français, de gauche… dans le désordre, Arié Alimi voulait « purger quelque chose de personnel », mais pas seulement. Pour l’avocat, membre dirigeant de la Ligue des droits de l’Homme (LDH), militant antiraciste, connu pour son combat contre les violences policières, il s’agissait aussi de « susciter un dialogue ».

Celui qui a compté Jean-Luc Mélenchon parmi ses clients, y décrit la « déflagration du 7 octobre », quand des partis politiques qu’il considérait comme des « compagnons de lutte », notamment le NPA, ont tenté de légitimer les attaques du Hamas. « Mon deuil à peine entamé, on me sommait de choisir mon camp. Moi qui m’étais toujours efforcé de laisser mes identités cohabiter », écrit-il dans son essai publié aux éditions La Découverte.

Au fil des pages, il tente de comprendre ses « propres cohérences et incohérences » et de réconcilier ses identités de Français juif, de gauche, dont le rapport au sionisme a évolué au fil des années. Auprès du HuffPost, il revient sur cet « écheveau d’identités » pour « permettre à tout le monde de s’emparer de ces questions ».

Le HuffPost. Vous décrivez dans le livre votre identité de « juif de gauche à visage découvert, un juif à part, coupé de sa communauté ». Pour vous, être juif et de gauche, aujourd’hui, c’est se couper de sa communauté ?

Arié Alimi. À une époque, ça allait de soi d’être juif et de gauche, y compris pour les institutions communautaires. Aujourd’hui, c’est de plus en plus difficile. Il y a eu un décalage de la communauté juive et le regard porté par ses membres sur les juifs de gauche est celui de l’étrangeté et du soupçon.

Pourquoi cela ?

Il y a un discours qui repose sur des choses vraies mais qui est malheureusement totalisant : celui de l’assimilation entre l’antisémitisme et l’antisionisme. L’antisionisme, qui veut dire beaucoup de choses, est une lutte de l’extrême gauche et est au cœur de la pensée anti-impérialiste. Le problème est qu’il y a eu un sophisme totalisant. Or, s’il est vrai qu’il y a une matrice spécifique de l’antisémitisme qui peut émaner des luttes anti-impérialistes et notamment de l’antisionisme, toute la pensée antisioniste n’est pas antisémite.

Vous qualifiez les discours autour de l’antisionisme et de l’antisémitisme de « spirale infernale de contre-vérités ». Qu’est-ce que vous entendez par cela ?

Chacun a une définition de ces mots et il y a des langues différentes selon les camps. Dans le camp sioniste, le mot sioniste est un mot nécessaire, un mot de survie. Dans le camp antisioniste, c’est un mot de mort, un mot de fascisme. Ce sont deux regards radicalement différents sur le même mot. Le but du livre est d’appeler tout le monde à revoir les mots et rediscuter.

Si le camp décolonial pouvait appréhender que le sionisme était aussi un mouvement ethnique d’autodétermination d’un peuple sans terre, opprimé depuis toujours. Et se dire qu’il y avait plusieurs visions du sionisme à l’origine. Si on pouvait simplement se dire ça, on aurait déjà compris qu’il y a un langage commun qui est possible, et qu’on peut travailler sur cette question pour le futur.

Pareil pour l’antisionisme. Si la communauté juive ou d’autres arrêtaient de considérer que l’antisionisme impliquait ipso facto la destruction de l’État d’Israël ou la remise en cause du projet qui consistait pour les Juifs à avoir un foyer. Ce que ce livre veut encourager, ce sont des pas de côté pour ces camps idéologiques.

Vous-même avez vécu une évolution dans votre rapport au sionisme. Vous parlez dans le livre d’une prise de conscience lors d’un séjour en Israël à l’époque de vos études. Comment est advenue cette évolution ?

Je suis un enfant juif de Sarcelles qui a eu une éducation extrêmement religieuse. Un enfant juif qui a été irrigué politiquement par le sionisme socialiste. J’avais pour vocation de devenir moi-même israélien. J’avais forgé le désir de vivre en Israël et de porter cet idéal sioniste. Mais il y a eu un moment de bascule qui a été très important dans ma vie. J’allais souvent en Israël et j’aimais prendre le thé dans le souk de Jérusalem et rencontrer les gens qui y étaient, à savoir des Palestiniens. Et notamment Hadil, avec qui je parlais tous les samedis.

C’est cette rencontre qui a brisé l’idéologie totalisante que je pouvais avoir, qui m’a montré l’envers du décor du sionisme, ce qu’il était devenu, ce qu’était la réalité israélienne. Une réalité qui certes pouvait être confortable pour beaucoup de juifs, mais qui ne l’était pas pour le reste de la population, qui était même un calvaire et un cauchemar. Je ne pouvais plus concevoir la possibilité de vivre dans ce pays qui ne portait pas ce qui était en train de se créer en moi en tant qu’étudiant en droit à l’époque, c’est-à-dire à un mélange universel d’humanisme, de liberté, d’égalité. C’est parce que je suis juif français que j’ai renoncé à mon identité sioniste à ce moment-là, parce que ça ne pouvait plus résonner.

Vous dites aussi dans le livre que vous dénoncez « le massacre des Gazaouis, la colonisation de la Cisjordanie […] en tant qu’homme de gauche, mais également en tant que juif ». Être juif pour vous, c’est devoir dénoncer ce qui se passe à Gaza aujourd’hui ?

Oui, pleinement. Ce qui est fascinant, c’est que le sionisme tel qu’il est devenu a écarté peut-être les valeurs les plus humanistes du judaïsme. C’est dans le message universel et dans les principes fondamentaux tels que je les ressens du judaïsme que je vois une contradiction fondamentale avec ce qui est fait à Gaza aujourd’hui.

Dans le livre vous parlez du choc du 7 octobre et en particulier de la réaction de certains groupes politiques dont vous étiez proches comme le NPA ou LFI, mais aussi de mouvements juifs comme Tsedek ou l’UJFP. Qu’est ce qui vous a choqué dans leurs réactions ?

Il y en a beaucoup qui interprètent ça comme de l’antisémitisme, je n’irais pas jusque-là. Je parle plutôt d’insensibilité idéologique. Ce sont des communiqués par exemple, pour certains, qui parlent de « résistance armée », de « processus de lutte armée ». Des textes qui portent un choix politique de légitimation de l’acte. Sauf que cet acte, c’est le meurtre de civils et de masse. Autant la lutte armée est reconnue légalement par le droit international lorsqu’on est occupé, et c’est le cas du peuple palestinien, autant les modalités de mise en œuvre de la lutte armée ne peuvent pas viser les civils. C’est cet antagonisme que j’ai avec le regard porté par des formations politiques avec lesquelles j’avais l’habitude de travailler.

Évidemment, c’est parce que je suis juif que j’ai immédiatement été sensibilisé et outré par cette approche, mais pas que. En tant que juriste, je ne peux pas concevoir qu’on puisse considérer que viser des civils est une modalité acceptable alors qu’elle est contraire à tous les textes internationaux. La fin ne justifie jamais les moyens.

Vous parlez aussi de la manière dont l’antisémitisme est devenu un outil de communication politique notamment pour l’extrême droite…

Il ne faut pas être naïf et ne pas voir que juifs et musulmans, antisémitisme et sionisme, tous ces concepts et ces communautés sont devenues des variables d’ajustement utilisées dans le cadre d’un rapport de force politique et discursif en France. Il n’y a qu’à voir la façon dont l’extrême droite se positionne par rapport à la question de l’antisémitisme, alors même qu’on connaît son histoire et qu’on connaît son idéologie. Ou il n’y a qu’à voir les étoiles de David sur les murs, faites, on le sait maintenant, dans le cadre d’une opération de l’intelligence russe en vue de fracturer la société française, parce qu’ils savent que la question de l’antisémitisme est un levier politique fondamental en France. Mais poser les mots et dire qu’il peut y avoir une instrumentalisation politique de l’antisémitisme, ça ne veut pas dire qu’il n’y a pas d’antisémitisme ou que l’antisémitisme n’augmente pas. Il y a les deux.

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ROUEN, place de la cathédrale 17h, vendredi 15 mars 2024 – Nous étions toujours là!

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